IL m’a ouvert sa porte, tout perdu dans ses habits devenus bien trop larges, avec quinze kilos de moins et tout ce chagrin en quelques semaines à peine. Les larmes noient son regard sans couler sur ses joues mal rasées. « C’est inimaginable » me dit-il dans un souffle épuisé, « c’est inimaginable » répète t’il sans parvenir à comprendre ce qu’il est en train de vivre…
« Je sais, Jeannot, ce vide, cet abysse… Ce silence qui dans chaque pièce résonne, cette absence si dense qu’on pourrait presque la toucher, qui te suit et s’impose partout… Je sais… Comme un jour sans fin, chaque matin confirme que le cauchemar continue, qu’il sera là pour toujours, qu’on ne peut l’ignorer ni le chasser »…
« Non Jeannot, rien pour le moment ne peut te réconforter, si les mots les plus méchants peuvent tuer, les plus doux ne sauraient la ressusciter, ELLE ne reviendra pas, et cette certitude déchire ta poitrine où ton coeur qui battait pour deux s’essouffle à ne palpiter que pour toi ».
« Il faut manger, Jeannot »… « Oui, mais tu sais, pas faim »… IL se retourne sur le salon dépouillé de vie, sur un fauteuil reste posé le plaid dont ELLE s’enveloppait quand la maladie lui enlevait peu à peu sa chaleur et ses couleurs…
L’absence a bien des visages, elle avance sans bruit dans la solitude qu’elle installe chez EUX. Rien n’a bougé, mais tout est différent, ses oreilles bourdonnent de ce voile de silence qui recouvre meubles et objets comme il les protège parfois de la poussière quand on les quitte pour longtemps… Même le tintement de la sonnette autrefois si joyeux ne fait plus écho qu’à son pas trainant, comme si atteindre la porte lui dévorait le peu d’énergie qu’il pouvait encore trouver pour survivre, anéanti.
ELLE habite les lieux d’une autre façon, marquant sa présence dans le parfum qui imprègne toujours ses affaires personnelles pour lesquelles IL n’a pas encore trouvé la force d’en débarrasser les placards… IL le respire chaque jour pour ne jamais en oublier les fragrances.
« Oui Jeannot, je sais si bien toutes ces choses là pour les avoir vécu autrefois, par deux fois, cependant aucun chagrin ne ressemble à un autre, ils sont le reflet des années partagées. Tel un ogre affamé il dévore notre bonheur, se gave de nos détresses et de nos sanglots, son appétit ne sera jamais rassasié, tout juste assoupi jusqu’à ce qu’une musique, une chanson, une senteur, un souvenir ne viennent l’éveiller…
C’est ainsi, Jeannot, que les jours, les semaines, puis les mois et les années vont maintenant s’écouler… Il te faudra du temps pour l’accepter, pour lentement apprivoiser ta douleur, et accueillir, sans trop d’amertume, ton avenir sans ELLE…
A LUI sans ELLE Août 2022.