Vous l’avez fait…
A force de vous l’entendre annoncer, à force d’arriver à temps pour vous empêcher de le faire ou d’user notre vocabulaire à vous persuader de ne pas en arriver à cette extrémité, nous avions curieusement oublié que tout pouvait quand même encore arriver…
Et voilà, cette fois vous l’avez vraiment fait !…
Vous vous êtes consumés à lutter contre ces démons qui vous harcelaient sans relâche à vous convaincre que rien n’allait bien. Défaits avant même d’avoir combattu, vous aviez renoncé… Plus rien n’accrochait votre regard, habitués que vous étiez à cet avenir sans douces échappées. Rien ne vous surprenait, le pire même vous semblait le plus probable.
Vous aviez usé tous vos amis, rares étaient ceux qui trouvaient encore quelque argument à vous proposer que vous aviez tôt fait de repousser…
Des heures, parfois des nuits à tenter de vous rassurer, à trouver des solutions dont vous ne vouliez pas entendre parler…
L’ivresse au bord du coeur vous perdiez l’équilibre, les mots s’échouaient sur vos lèvres fatiguées, mille bras n’auraient pas suffit à vous retenir… Votre envie profonde était de tomber…
On vous quittait soulagés d’échapper à l’emprise que vous tentiez de nous imposer, votre douloureuse exigence essorait ce qu’il nous restait de tendresse ou d’amitié… Depuis longtemps plus rien ne servait à rien…
Persuadés que personne ne pouvait vous comprendre, ce fut un perpétuel chassé-croisé entre vos attentes et nos impuissances…
De plus en plus souvent vous succombiez à l’étourdissement d’un verre et vous finissiez par vous endormir sur le coin d’un canapé. Nous vous laissions à vos certitudes, épuisés nous allions quelques heures, quelques jours, récupérer l’énergie dont vous nous rançonniez une fois réveillés…
Insidieusement vous confondiez mal-être et lucidité, nous reprochant de ne plus vous suivre dans la torpeur de vos idées noires, votre malheur finissait par nous indisposer tant nous ne trouvions rien à lui opposer !
Et vous nous laisseriez céans comme des abrutis qui n’auraient rien compris ? !…
Non ! Non ! Et non ! Il n’y avait rien à concevoir que nous n’ayons pas essayé d’ imaginer !
Ne nous reprochons pas de ne pas vous avoir donné ce dont vous ne vouliez pas !!!
Chacun à notre façon nous avons tenté de vous protéger.
Vous avez défié la mort si souvent qu’un jour c’est elle qui vous a pris au mot. Peu importe quelle fut son imposture, La Parque ne se laisse séduire qu’une fois, un seul instant a suffit…
Nous aurions mieux supporté que vous partiez d’une « vraie » maladie, de celles qui semblent mériter plus que la votre d’être « longue et douloureuse »… Au moins nous serions nous sentis épaulés par la médecine qui aurait tout tenté pour vous sauver…
Au lieu de ça, il aura fallut des années durant vous voir vous désagréger sans aucune des raisons que nous aurions pu faire nôtres… Le cancer de l’âme nous laisse certains de n’avoir pas épuisé toutes les possibilités de vous garder en vie…
Ne soyons pas fallacieux, notre chagrin se suffit à lui-même, nul besoin de l’alourdir d’une fausse culpabilité ! Je ne vois rien que nous ayons à justifier ! C’est la camarde qui chaque fois nous laisse démunis et face à notre propre crépuscule…
Nous ne trouvons pas mieux que vous encenser pour nous consoler, mais vous n’étiez pas davantage que ce que nous étions ! Ne nous commettons pas à flatter votre mémoire, gardons de vous le souvenir d’êtres aussi imparfaits que nous le sommes !
La culpabilité ne sert ici qu’à se flageller, comme si pour se pardonner il fallait souffrir autant que vous avez souffert, c’est oublier un peu vite la part de douleur et de désespoir que nous avons subi dans ces tragédies !
Et si Quelque Part aujourd’hui ne reste de vous, sublimés d’une perception ultime et éternelle, que l’essentiel de ce que vous fûtes parmi nous, gageons que vous y ayez enfin trouvé l’apaisement que vous recherchiez tant. Je veux croire que vous ne souhaiteriez pas nous voir accablés par ce vain désarroi qui ne tendrait qu’à vous retenir là où vous ne souhaitiez plus être…
Seule la maladie a guidé votre choix, ne nous rendons pas coupables d’évènements dont nous n’avons jamais eu la maîtrise…