La panthère noire n’en finit pas d’onduler sur le bahut de la salle à  manger.

Je crois bien que le papier peint n’a jamais été changé. Les motifs se sont effacés, il n’a plus de couleur, mais on a peine à  imaginer qu’il en ait eu une un jour… D’ailleurs, quel joli coloris aurait pu se transformer en ce gris sale, usé par le soleil et la fumée ?

Sur la table, celle qui servait autrefois au repas du Dimanche, une nappe bleue et jaune veut donner l’idée de la Provence… Mais dans ce coin de l’Allier, qui le croirait ? Sagement alignées de chaque côté, quelques chaises rescapées du temps passé, recouvertes d’un Skaï défraîchi d’où s’échappent des fils de couture usagés.

Deux vases, tels deux calices, posés à  égale distance l’un de l’autre, raidis par la même arthrose que notre vieille amie, nous inviteraient presqu’au silence.

L’endroit me semble avoir rétréci. Le souvenir que j’en gardais avait plus d’ampleur, plus d’éclat, plus de vie. Là , tout est petit…

Point de canapé, mais une vieille télé qui trône au milieu du salon qui n’en a plus que le nom. Sur la cheminée, quelques photos jaunies, usées d’avoir été trop regardées. Deux ou trois tableaux, pour faire beau : un bateau échoué, une ferme isolée au milieu d’un pré, et accrochée là  sur le côté, l’Assiette…

Une assiette magnifique, en faïence blanche décorée : des roses pâles finement dessinées, des volutes dorées, et comme un poème désuet, quelques lignes tracées :

« Notre Amour est plus précieux que tout l’Or du monde,

Aujourd’hui nos deux cœurs débordent d’un Trésor Fabuleux… »

Cinquante années d’un mariage ainsi célébré. Douze années plus tard et autant de poussière accumulée, l’assiette pend toujours à  son crochet !

Elle est ravie de nous revoir après tant d’années. Il en aura fallut des évènements pour que nos pas nous ramènent du côté d’Abrest…

La maison, curieusement n’a pas changé. Je suis toujours étonnée que les choses gardent parfois cette immobilité dans le temps tandis que je m’agite ailleurs…

Les personnes âgées conservent une multitude de choses usagées, « au cas où »… » élastiques séchés, bouts de ficelles ou rubans tachés, bouchons de liège, capsules en plastique, petits papiers bien pliés, vieilles recettes jaunies découpées dans un magazine…

L’égouttoir à  vaisselle autrefois coloré, dépose sa rouille sur le bord de l’évier en faïence blanche. Il n’est pas assez grand pour recueillir toutes les assiettes, tous les verres et les couverts utilisés au cours de la semaine.

Une vieille éponge n’en finit pas de s’égoutter sur le bord de l’évier. Le savon aux crevasses noircies sèche près du robinet.

Ca sent le renfermé.

Une plante assoiffée rend l’âme et perd ses dernières feuilles sur l’étagère près de la fenêtre. Quelques unes fanées sont déjà  tombées plus bas sur le sol carrelé.

Il y a un bon bout de temps que les rideaux en nylon à  pois rouges n’ont pas été lavés. Leurs plis encrassés creusent des cernes aux carreaux fatigués.

L’entrée est toujours aussi bleue. On pourrait croire que seul cet endroit a été peint et repeint !

Deux chevaux galopent depuis quarante ans sur un morceau de contre-plaqué fixé au mur, en face de la porte d’entrée. En noir et blanc, le « poster » tente de donner à  ce couloir étriqué l’espace et le grand air qu’il ne connaîtra jamais !

Elle a gardé la même voix nasillarde et haut perchée. Elle était épicière au Marché couvert, on l’aurait deviné tant le ton qu’elle prenait pour nous parler rappelait la harangue dont elle usait pour vendre ses légumes et ses poulets…

Elle nous raconte trente ans de sa vie en à  peine une petite heure, nous avons bien du mal à  la suivre dans ses digressions incessantes et compliquées. Les anecdotes fleuries de détails sans importance ont empli la pièce. Un brouhaha, une sourde litanie me plonge dans une  sorte de torpeur, soudain je me sens m’évader, sa voix s’éloigne de moi, je prends de l’altitude en nous regardant deviser, spectatrice des reliefs de mes lointains souvenirs d’enfance…

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