Ce soir je suis rentrée un peu tard…
Des tréteaux avaient été montés sur la place, au fond de la ruelle avoisinante, dans un murmure mélodieux, une troupe d’enfants répétait en sautillant quelques pas sous l’œil attentif de leur professeur de danse. Puis quelqu’un réclamât le silence, on entendit ça et là des gens tousser ou chercher encore une place sur les gradins bondés, et soudain dans un éclat d’accordéon…
Des gamines habillées de robes longues et chatoyantes, toutes de douceur et de féminité, qui glissaient sur la scène comme si elles n’avaient pas de pieds mais des ailes de papillons aux bout de leurs mains voilées, des petits garçons effrontés qui dansaient tout en virilité, des chorégraphies endiablées, des sauts, des tourniquets, des couteaux qu’ils plantaient sur le plancher pour signer les défis qu’ils se lançaient !
C’était à qui ferait le mieux, à qui en rajouterait, les gamins paradaient et les filles, qui toujours effleuraient le parquet en les frôlant de leurs yeux d’amandes aux lueurs prometteuses…
Des brunettes toutes en retenue mais débordantes de sensualité, des gamins moqueurs et possédés, se haussant sur leurs pointes de pieds nus mieux qu’une étoile d’opéra sur ses chaussons de soie !
Un moment de fougue, de gaieté, et une foule qui ne savait plus s’il fallait applaudir ou se taire devant ce travail si joliment dissimulé sous la grâce et l’agilité !
Une sarabande hors du Temps qui m’a ramenée aux veillées où Guênia, mon Papa, Michel et Dimitri, mes oncles, dansaient leur fierté d’être slaves, aux cris qu’eux aussi poussaient pour se provoquer et aux prouesses dont ils nous gratifiaient. C’était à qui sauterait le plus haut ou susciterait l’admiration, à qui afficherait le sourire le plus ravageur…
Je ne suis pas rentrée seule, le violon et l’accordéon m’ont raccompagnée jusqu’à la maison. Tout à l’heure, ma nuit sera musicale et mes rêves légers comme ces lutins géorgiens.