Si vous me reprochiez de ne parler de rien de très important, d’enfoncer bien des portes ouvertes avec mes effarements à quatre sous et mes émotions de jouvencelle…
Si vous me disiez que j’écris à tort et à travers, pour à la fin, ne pas dire autre chose que ce que d’autres avant moi auront su écrire de plus belle manière…
Si vous m’accusiez d’user les mots à force de les détourner pour tenter d’en faire de meilleurs, de les malmener, tant je les tire à hue et à dia pour finir par leur faire dire n’importe quoi !…
Si vous m’assuriez qu’il est vain d’écrire pour des lecteurs encore dans les limbes, que ne sont d’ailleurs pas encore nés ceux qui, d’un œil distrait, survoleraient mes lignes peu distinguées… Qu’enfin je ne devrais pas ainsi me vautrer dans ce qui, déjà si difficile à dire, ne s’allonge pas si aisément sur le papier…
Si vous m’asséniez que mon écriture est inversement proportionnelle à l’orgueil qui, à lui tout seul, rempli mes encriers, ou que Monsieur Jourdain lui-même pourrait se gausser de ma naïve fatuité à tenter de philosopher avec ma prose bien ordinaire…
Si vous m’assommiez de tous ces reproches pour mettre fin à cette morne logorrhée… Je ne vous en ferai pas le reproche, mais je persévérerais !
Car qui ne connait cette jouissance à traduire par les mots ce que l’âme a de plus intime, ne peut comprendre à quel point l’écriture est d’abord et avant tout pur et égoïste bonheur, qu’il arrive qu’on puisse cependant partage. C’est aussi un moyen, parfois un remède, un exutoire, en tous cas une liberté à la quelle on ne peut plus jamais renoncer !
Cependant je m’emploie chaque jour à séduire tous les mots qui veulent bien de ma plume et si j’en use de mille et une façons, c’est pour qu’ils saupoudrent d’infimes nuances tout ce que je souhaiterais leur faire dire.
Je les détourne parfois, je les casse en petits morceaux pour en inventer de plus rigolos qui sauraient mieux vous attendrir, j’en dépoussière quelques uns pour vous redonner l’envie d’en user encore aujourd’hui, car après tout, puisque personne jusqu’ici n’en a trouvé de meilleurs ou de plus explicites.
Je les tortille timides, je les lance audacieux, le les tais trop violents ou je les lâche trop encombrants. J’en écris de doux, d’autres sont plus entreprenants, je les offre à qui les veux, mais je fais bien attention à n’en prêter à personne dont je ne connaîtrais pas suffisamment.
Je les mélange, j’en fais des métissages colorés qui en un tour de crayon vous dessine un joli paysage, j’en ai quelquefois dégoté de très sombres qui ont eut l’heur de sonner le glas, ou de noircir des pages en peau de chagrin. Je les arrête d’un coup de buvard quand ils passent la mesure, je les gomme tout bonnement quand ils sont trop insupportables.
Mais je les dorlote aussi, jamais n’est posé trop loin mon dictionnaire où ils vont s’endormir apaisés quand j’en ai bien usé. Je leur donne tout l’espace dont ils ont besoin pour s’épanouir, je leur propose points et virgules pour qu’ à force de courir derrière la mine de mon crayon, ils ne finissent pas tout essoufflés. Je les maquille un peu quand ils ont besoin de s’imposer, et parce que je les aime et que j’ai besoin d’eux j’essaye de ne pas les blesser, ni de les estropier ou de les défigurer, l’orthographe est leur médecine préventive à eux, il faudrait ne jamais l’oublier.
Et si par quelque doux miracle vous tombiez, par hasard, sur quelques uns des miens, et que, plus étonnamment encore, vous leur consacriez quelques instants, eux comme moi en serions, à tout le moins, fort intimidés. Le rose nous monterait, aux joues pour ce qui me concerne, aux pleins et déliés pour eux, et vous nous en verriez très honorés.