La mer là-bas à la couleur d’un chagrin inconsolable. Même le plus chaud des rayons ne parvient pas à donner au rivage des allures estivales. Je ne sais si l’été les vacanciers osent se dénuder sur la plage, en cette fin d’Octobre les promeneurs s’en vont emmitouflés creuser l’arène mouillée de leurs empreintes éphéméres. La marée ici descend en ravalant ses larmes, et remonte en exultant de rage.
L’horizon n’est qu’un pointillé de béton noirci par la risée saline qui finit de s’effondrer sur les hauts fonds de Mulberry Port… Plateformes aux ferrailles échevelées, caissons Phoenix qu’on ne voudrait jamais imaginer pouvoir renaître de leurs cendres… Le souffle du large gonfle les vagues et nos manteaux de laine, à la Pointe du Hoc le vent s’époumonne en criant « Victoire ! » avant d’aller s’affaler sur le gazon étoilé de Colleville… 9387 croix blanches ont le triste privilège d’une vue imprennable sur la mer…
Plus bas, Omaha Beach, l’immense ruban de sable blond ne subit plus d’autres assauts que ceux des chars à voile, La Sanglante, fort heureusement, ne porte plus si bien son nom, mais l’hémorragie d’antan perdure comme un bruissant murmure entre bourrasques et flots salés…
Un musée, quelques monuments érigés à la mémoire de ceux qui bravèrent un Mur qui se crut à tort invincible, Sherman, Cromwell et autres Panzer, chars ou canons nous réclament de leur socle encore un peu d’ admiration… Hélas, nous avons depuis consacré beaucoup plus d’énergie à inventer d’autres machines à tuer qu’à générer la paix… Et des croix, des croix et des croix comme bien moins cependant que de vies sacrifiées à notre présente indifférence. Car pour quelques moments d’émotion sincère causée par l’abominable beauté d’un paysage à jamais hanté par cette marée humaine offerte aux canons ennemis, que reste t’il de tous ceux qui sous la terre dorment bercés par nos déambulations attérrées : tant de sang sous la verdure…