Une vieille ronce depuis trop longtemps avait agrippé une rose esseulée dans un petit jardin de curé. Ce bout d’herbes folles était tout étriqué, coincé entre deux immeubles noircis des fumées citadines. Le rose avait réussi à glaner quelque humus pour s’y épanouir toute de pétales pourprés.

La douce rose n’avait pas encore assez d’épines et peinait à s’en défendre. D’abord de bonne nature, elle s’épuisât doucement au fil des mois à lutter contre cette envahissante voisine qui n’hésitait pas à violer le peu d’espace que le tout petit jardin lui concédait… Elle grandit toute frêle, car la garce barbelée piochait tant qu’elle pouvait le peu de terre à ses pieds…

Harcelante, à ne jamais la laisser en paix, accrochant la moindre esquisse de feuille, enserrant sa tige jusqu’à l’empêcher de respirer… D’humeur naturellement gracieuse, l’églantine perdit son sourire à force d’agressions et de chagrins… De tristesses en désenchantements, de lassitudes en mélancolies, la belle ne sût plus comment s’en libérer, toutes ses forces l’avaient abandonnée, pire encore, elle finit par se convaincre qu’elle avait bien mérité cette terrifiante torture puisqu’elle n’était même pas capable de s’en échapper… La ronce perverse d’ailleurs ne se privait pas de l’accabler, lui servant mille reproches et jamais aucun compliment, tout en l’assurant que chacune de ses étreintes blessantes n’étaient que douces caresses, l’accusant également de ne faire aucun effort pour la comprendre et accueillir son amour débordant !…

De victime la rose se jugeât coupable et aussitôt s’affligeât d’un châtiment sans indulgence : elle se privât de puiser davantage dans le terreau pourtant à portée de racines, et de jours en jours s’affamât jusqu’à voir sa tige plier de fatigue, ses pétales flétrir, son parfum s’évanouir… Même si la pluie parfois faisait d’une flaque son miroir, notre fluette s’y voyait bien plus pimpante qu’elle n’était, plus personne alentour ne réussissait à la convaincre du contraire, qui voulait d’ailleurs la presser d’enfin s’alimenter ne récoltait plus que méfiance et refus de changer la moindre de ses résolutions… Elle vint à s’éloigner de ses amis de peur d’avoir à subir leurs inquiétudes et leurs conseils, se recroquevillant sur elle-même, refusant que quiconque lui vienne en aide, et passant le plus clair de ses jours à parier combien de temps elle pourrait survivre à tant de privations…

Le temps fut son meilleur conseiller. Elle finit par s’alarmer quand un matin elle vit un de ses pétales tomber à ses pieds, perdant ses couleurs sa fin lui parut si proche qu’instinctivement elle décidât enfin d’y remédier… Mais de lourdes et mauvaises habitudes l’empêchaient de guérir aussi vite qu’elle l’aurait voulu…

Il fallait fuir le jardin, trouver une terre plus hospitalière, se défaire de la ronce et se nourrir à d’autres parterres… Soudain consciente d’avoir frôlé l’irrémédiable, elle décidât d’emprunter le chemin des montagnes et d’aller en altitude respirer un air plus pur.

Elle laissât derrière elle ce qui l’entravait, ce fut au prix de se séparer aussi de ceux qu’elle aimait, pour tenter de retrouver l’appétit et l’envie… Là-haut dans la montagne, depuis quelques jours une fragile rose a trouvé un petit talus verdoyant, elle y prend racine tout doucement, à goûter d’autres terres plus odorantes, un edelweiss très surpris d’y rencontrer pareille beauté ne se lasse  pas de l’encourager à persévérer, apprenant son histoire il surveille alentour qu’aucune mauvaise herbe ne vienne mettre le grappin sur la courageuse exilée, et de loin tout en bas, ceux qui l’aiment savent bien qu’un jour elle leur reviendra ragaillardie, ou que se trouvant mieux sur les cimes, ce sont eux qui iront là-haut sur la montagne, voir leur belle rose enfin vivre sa vie de rose libre, épanouie et guérie…

A M.A.

 

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