Louise s’étant aperçue que sa carte grise ne mentionnait plus l’adresse adéquate après son récent déménagement, se rendit à la Préfecture pour la faire modifier.

A l’accueil, une femme fort tatouée, mâchouillant un stylo à l’agonie, lui proposa de s’adresser à un collègue tout aussi affairé, assis à ses côtés. Tandis qu’un autre grand gaillard au front dégarni l’observait derrière son comptoir en plexiglass, Louise se demanda si quelque chose clochait dans son apparence tant le bonhomme avait l’air absorbé. Un coup d’œil rapide dans son reflet dans le curieux pare-brise, (Covid oblige, à moins qu’haleines fétides), la rassurât. Aucune mèche rebelle ou maquillage défaillant, rien qui puisse la renseigner sur ce regard fixe que son sourcil, à elle courroucé, ne réussit pas à faire baisser.

Louise expliquât poliment son cas, avec force sourires et amabilités, on ne sait jamais comment aborder ces personnes coincées derrière un guichet pour des journées entières à ne rien faire… Louise donc, dû répéter plusieurs fois pourquoi et comment sa carte grise en était arrivée là. Les trois rond de cuirs la dévisageaient comme si elle leur parlait dans une langue étrangère.

A bout d’arguments, Louise se tut, espérant que l’un d’entre eux lui propose une solution.

« C’est moi qui m’en occupe, Madame. Nous allons donc prendre rendez-vous afin de résoudre votre problème », lui annonçât un des deux garçons tout guindés. Louise aimablement lui rétorquât que ce n’était pas véritablement un problème, mais eu subitement l’idée incongrue de lui demander si, par un hasard des plus réjouissant, il ne pouvait pas régler l’affaire puisqu’il était là.

« Ah, non, Madame, il faudra revenir car pour le moment je ne peux que vous fixer un Rendez-vous, ce sera vendredi matin à 9h10 ».

Devant cette improbable rapidité d’action, Louise s’en retournât sereine, dans deux jours sa carte grise serait à nouveau en règle. « Que les gens sont médisants », pensât-elle en son fort intérieur, « ces agents d’accueil (leurs badge en attestaient), nonobstant leurs silhouettes fantomatiques et leurs yeux de possédés, avaient été tout à fait charmants et semblait-il, réactifs à sa demande.

Deux jours plus tard Louise se levât dès potron-minet, Louise a horreur d’être où que ce soit en retard. Faisant fi d’un matinée qu’elle aurait préféré plus grasse, Louise, à petits pas déterminés fut à 9h 10 précisément devant le bureau cagibi toujours « plexiglacé ».

Pour l’accueillir, les trois mêmes agents l’attendaient affairés à quelque tâche des plus mystérieuses et accaparantes. Louise eut l’impression d’être transparente. Afin d’attirer leur attention, Louise se raclât le gorge discrètement, ce qui eut pour effet de les voir aussitôt relever la tête et braquer sur elle trois paires d’yeux contrariés.

Louise se présentât et confirmât qu’elle avait bien rendez-vous, et pour quelle raison. Dans un élan de bonne volonté, Louise tendit sa carte grise à l’employé qui l’avait si promptement convoquée… « Je n’en ai pas besoin, Madame. Je vais vous fixer un rendez-vous afin que nous puissions corriger votre adresse dans le bureau à côté ».

« Ah? » dit Louise. « Mais, vous m’avez déjà donné rendez-vous avant-hier, et me voici. »

« J’ai bien compris Madame », lui répondit le monsieur en chemise et pull sans manche beige pourri, « mais je vous ai donné ce rendez-vous pour que nous puissions, justement, prendre rendez-vous ».

Louise un instant, crût à une blague, comme à une caméra cachée derrière les piliers, ou quelque François Damiens allait apparaitre en costume d’agent de modification de cartes grises. Mais elle réprimât vite son début de fou-rire en constatant que son interlocuteur semblait s’offusquer de son étonnement. Elle tentât timidement une question, dont la réponse, il est vrai, était déjà inscrite dans l’écriture agacée et toute minuscule du fonctionnaire grognon… « Non Madame, je ne peux m’occuper maintenant de votre carte grise puisque je suis en train de vous donner un rendez-vous pour le faire plus tard ! »

Louise, telle une élève semoncée, prit le petit bout de papier où l’homme avait écrit en pattes de mouches : lundi 18 Novembre à 14h12″. Louise n’osât pas l’interroger davantage sur ces horaires curieusement minutés, que déjà l’agent contrarié lui assénait la phrase définitive : « Je suis débordé, je n’ai pas de place avant ! »

One Reply to “Louise et sa carte grise…”

  1. Louise, en principe, ne ment pas ! Pourtant difficile de croire pareil témoignage ! Consternant !
    Il est possible de réaliser ce changement d’adresse obligé directement en ligne….sans rendez-vous !
    A pleurer…de rage !
    Note personnelle : La barrière en plexiglas est bien utile … pour ces agents surbookés.

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