Petit cocon de douceur qui me prit tendrement entre ses murs quand mes jours n’étaient que douleurs, entouré de verdure qu’enchantent les oiseaux, havre de paix où fredonne plus bas une rivière, petite maison pour qui un jour j’eus ce merveilleux coup de coeur, je n’ai jusqu’ici pas trouvé les mots pour te le dire : Je dois m’en aller… Comment te convaincre que je te quitte en t’aimant quand depuis tant d’années tu fus mon alliée ?
La vieillesse me guette au coin du bois d’à côté, et mon porte-monnaie crie trop souvent famine pour que je puisse te rendre tout ce que tu m’as donné. Me semble venu, comme une évidence, le temps de te confier à d’autres habitants bienveillants, ceux qui qui comme moi il y a dix sept ans, à peine sur ton seuil, se sont épris de toi ! Ces trentenaires souriants et leurs trois sages petits bambins vont dans quelques mois changer ta vie. Un joyeux brouhaha va résonner entre tes murs, s’il peut au départ, te surprendre, je gage que très vite tu y puiseras une nouvelle jeunesse. Je sais que dans un coin de ta mémoire de pierre tu garderas nos « habitudes » d’opéras, de sonates, de concertos, parfois même en fredonneras-tu quelques notes dans tes moments de solitude ?… De là où mes pas me porteront, j’aurai toujours pour toi de douces pensées, je saurai t’imaginer pimpante sous tes nouveaux habits, qui sait s’il ne m’arrivera pas de venir t’apercevoir de loin, sans plus jamais pousser ton portillon bleu qui fut des années durant celui de mon petit Paradis… Je n’ai oublié aucunes de mes « pierres d’Avant », je leur rend visite en m’endormant, dans ces moments calmes et silencieux où le temps est aux souvenirs divagants.
Mon nouveau « chez moi » n’a rien de commun avec toi, perché au premier étage de ce qu’on nomme « résidence » il m’a séduite alors qu’il ne ressemble absolument à rien ! Ses précédents propriétaires ne l’occupaient que pour satisfaire leurs obligations professionnelles, ils ne se sont donc guère investis pour améliorer son apparence… C’est un immense appartement sans charme particulier, qui somnole depuis des années sans âme qui vive pour s’en occuper. Il s’ennuie à l’ombre des platanes qui lui font escorte, dans le silence que seuls les remous du canal posé juste en contrebas réussit à rompre, tandis que des kayakistes amateurs de vagues et d’obstacles, s’entrainent à réussir à les franchir.
J’ai pour lui les yeux de Chimène, aucun autre que lui ne pourrait trouver grâce avec ses parquets défoncés, ces murs fatigués où des colonies de papiers jaunis ont été punaisés ça et là sans vergogne ! Des travaux « pharaoniques » ont en rêve, déjà transformé cette friche en petit Versailles, l’objet de mon désir se flatte de l’attention que personne ne lui avait porté depuis bien longtemps. A coup de mesures, d’imagination, de trouvailles, le voilà coquet à souhait, bientôt habillé à son tour aux couleurs de mon coeur.
En attendant que se réalise ce beau projet, je m’applique à ne pas te peiner en remplissant des cartons de tout ce qui t’allait si bien… Le bonheur que j’ai à forger cet avenir forcément pourrait te froisser, « Quelle ingratitude », dirais-tu, « que cet engouement subi pour une laide souillarde ! »… Alors je cache ma joie au fond des caisses où j’entasse tous les trésors que je m’apprête à emporter, je tente de t’expliquer combien cette perspective me fait de bien, car comment vivre sans espoir, sans évolution ou possibles métamorphoses ?
C’est une chance inouïe que d’avoir encore l’opportunité de voir se profiler un avenir différent de celui qu’on pensait déjà écrit, et qui plus est, bienfaisant…
Ma jolie petite maison « bleue »… Je t’appelais ainsi pour flatter les lèvres de ton toit qu’un indigo azuréen souligne élégamment, je te quitte comme certains amants le font en s’aimant pourtant toujours autant… Ne prends pas ombrage de ce rassemblement de valises, je dois laisser la place à ceux qui t’aiment déjà, je leur donne de quoi te garder encore un peu telle que je t’avais façonnée, ainsi un peu de moi te resteras, et les transformations que tu devras forcément subir se feront tout en douceur.
Quand je te dis que tu vas retrouver un nouveau souffle, je ne te mens pas, un peu moins de meubles et d’objets te feront sentir moins engoncée dans ce qu’une vie de souvenirs remplit d’espace !
Quand les lilas refleuriront tu leur appartiendras… Quand la verdure te consolera, vite tu t’attacheras à ceux qui aujourd’hui te sont encore étrangers, je suis certaine que toi comme moi ferons à tort des comparaisons qui, on le sait, ne sont pas raison. Nous allons toutes deux changer nos habitudes, sortir de cette douce léthargie que la vie à deux provoque parfois quand on s’aime depuis longtemps, si ce bonheur là nous allait bien, nous en fabriquerons un autre, tout neuf, pétillant, nous devrons ajuster nos pas au chemin qui nous est proposé et je suis certaine que nous y découvrirons chacune à notre façon, de magnifiques paysages que nous n’aurions jamais soupçonné en restant figées dans notre routine de « vieilles filles ».
Une chance encore nous est offerte de nous réinventer, « à votre âge », diraient certains, « ça n’est pas donné à tout le monde » ! Toutes deux savons bien que tout est éphémère, à plus ou moins long terme. Alors, faisons la part belle à notre curiosité, à notre plaisir, puisons dans ce printemps naissant l’énergie que nous utiliseront pour accueillir Demain sans toutefois renier Hier.
Hauts les cœurs « ma petite maison bleue » ! Tant d’Amour s’est épanoui ici qu’il se respire, de si jolis petits bonheurs s’y sont installés qu’en partant de bon coeur je leur confie… Nous ne sommes que des passants derrière tes façades tandis qu’au fil de nos vies toi, tu perdures…
Alors ça y est ! Un couple et 3 enfants ont choisi !
Bravo Mo !
Bonne installation nouvelle dans le prochain cocon.
Et la photo de Lui, de Vous, déménagera aussi …
Content pour vous.
A.