Je tenais ta main bien au chaud dans la mienne, pour empêcher le froid de s’y installer à jamais, je croyais que rien ne pouvait t’arriver tant que mon énergie se fondrait dans le peu de force qu’il te restait…

J’avais fermé les yeux. Dans mon havre d’obscurité n’existait plus que le souffle de ta respiration régulière à laquelle je m’accrochais comme à une bouée, la mienne à l’unisson, comme si à nous deux nous pouvions retenir le Temps et te garder vivant…

Une inspiration… Puis une expiration… Une inspiration… Et soudain rien… Plus rien… Je retenais l’air en moi, prisonnier de ton silence, je ne réussissais pas à ouvrir mes yeux sur ce qui auraient donné réalité à ce qui me terrifiait… Il a bien fallut m’y résoudre, te voir soudain effroyablement immobile, sans ce soulèvement discret et rassurant qui jusqu’ici, bien que ne tenant qu’à un fil, avait suffit à te garder au Présent. Ton sommeil n’avait plus rien d’humain, cette inertie foudroyante paralysait mon corps presque autant que le tien, il n’entendait plus rien ni ne répondait à mes volontés, si tant est que j’eusse pu en avoir à cet instant sans retour. Si chaque seconde est à la fois infinie et passagère, à peine est-elle qu’elle fut, celle là, la tienne dernière, est devenue éternelle, infiniment en suspens, laissant filer les miennes, désormais seules à s’égrener, toutes endeuillées…

La solitude qui, depuis un moment déjà, attendait son heure sur le pas de la porte de ta chambre, a fait un premier pas vers moi, j’ai voulu l’ignorer, mais la garce a mille ruses pour approcher ses proies, elle parvient toujours à ses fins. Pour un moment encore elle a bien voulu se tenir à distance, tant de gens, autour de moi, cherchaient à l’empêcher de se manifester… Mais je la sentais, affamée de ce froid glacial qui la nourrit, prête à m’étreindre sans que je ne puisse la repousser bien loin…

Comprendre ce basculement effarant qui nous conjuguera tous un jour à l’Imparfait, quelques tentatives vaines que nous nous ingéniions à faire en continuant à parler de Toi comme si de rien n’était, ne rendra pas la grammaire plus indulgente, et nous laissera, « groggy », désemparés, à ne plus trouver ni la force, ni l’envie de s’expliquer cette absence abyssale.

Bientôt seule à tes côtés, j’allais de Toi aux murs blafards, au plafond assombri dans cette fin d’après-midi de Février. L’esprit vagabond, sans but, à me répéter comme pour mieux m’en convaincre, que tu venais de mourir, mais ça ne voulait plus rien dire, mourir… J’avais repris ta main dans la mienne, pour y retenir le peu de chaleur qui persistait encore, j’ai promis l’intenable pour que tu te réveilles, pour que tu sois là, encore, encore un tout petit peu, « s’il te plait accorde moi cette faveur »…J’ai juré ne plus jamais rien exiger après, j’ai menti, car de Toi je n’aurais jamais eu assez… Plus les minutes s’écoulaient, plus tu t’en allais. Ma main ne suffit pas à te retenir, je te sentais t’évanouir dans la nuit tombante. Ce qui venait d’arriver persistait à s’ancrer dans la réalité, je ne me réveillerai pas de ce cauchemar là.

Je ne sais plus à quel moment j’ai pleuré, anesthésiée, le chagrin était bien trop grand pour n’être contenu que dans les larmes salées qui finirent par s’échapper. Mais la douleur était ailleurs, au creux de mon ventre, telle une crampe tenace, dans le bas de mon cou où palpitait l’écho des battements de mon coeur brisé, dans mes mains tremblantes qui avaient du lâcher les tiennes déjà froides, dans le tourbillon des pensées qui m’assaillaient, dans l’effort que je te devais d’être courageuse, toi qui jamais ne t’étais plaint d’une si funeste destinée… Alors, je me suis dessiné un tout petit sourire au coin des lèvres, je ne voulais pas que tu t’inquiètes pour moi, que mon chagrin te pèse et te retienne. Puisque c’était ainsi, je refusais que la colère s’immisce, inutile et impuissante à changer le cours des évènements, je t’ai offert ce timide rictus de cire, et j’ai consolé ceux qui autour de moi n’y arrivaient pas…

Ainsi allaient passer des jours, des semaines et des mois, qui, on me l’assurait, adouciraient ma douleur… Mais je savais déjà que cet accablement ne disparaitrait pas si facilement, il m’en faudrait du temps pour l’accepter et rafistoler mon âme délabrée. J’en ferai de ces rêves où je ne sais pas où tu es, où je crois que tu m’as quitté, où je ne peux réussir à te joindre, parce qu’un chiffre ne peut être saisi sur mon clavier m’empêchant de composer ton numéro entièrement, de ces songes qui s’épuisent dans un réveil angoissé, et me trouvent apaisée de constater que, non, tu ne m’as pas quittée, pour aussitôt réaliser que tu es mort ! Une déchirure de plus encore quand le sommeil se fait sadique et tourmenteur…

« Ils » avaient raison, les années m’ont apaisé, parce que la raison l’a emporté, à mon impuissance désolante, j’ai préféré l’espérance, la mort n’est pas ce que l’on craint, j’ose en faire la pari, ton absence s’est transformé en une éclipse partielle, un effacement certes, mais pas à une disparition. Je ne peux l’expliquer, je le sens, tout simplement. Tu m’as donné la force de poursuivre mon chemin, tu n’espères que mon bonheur et mes éclats de rire, gage de ta sérénité, je m’y emploie inlassablement, m’appliquant d’une belle écriture, à bien remplir les devoirs de vacances qu’en partant tu m’as laissé.

A Jean-Claude, (5 Février 2018). 4 ans…

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