Ce matin, au marché, sur un vieux piano un jeune homme jouait. Du clavier ses doigts agiles chipaient à l’ivoire des notes mutines qui s’en allaient résonner sous le voutes boisées. Les gens, ces ingrats, ne s’en apercevaient pas, tout occupés qu’ils étaient à choisir ce qu’on vient ordinairement chercher ici, des légumes, de la viande, du poisson ou bien du fromage… Il fallait être mélomane ou simplement un peu curieux, pour très vite s’apercevoir que cette jolie musique ne sortait pas des haut-parleurs accrochés sous le toit, entre les allées il suffisait de cheminer en suivant son instinct de musicien, et il n’était pas nécessaire d’avoir suivi les cours d’un Conservatoire pour se douter que plus la mélodie s’intensifiait, plus on s’en approchait… A côté du bar fermé où les chaises retournées sur les tables désertées, attendaient la tête à l’envers, que l’odeur du café se mêle à nouveau au brouhaha des chalands et des marchands, un jeune éphèbe aux boucles dorées semblait ne faire qu’un avec un piano noir qu’on avait posé là, au cas où… Il fut ce cas précisément, tout entier absorbé par la beauté magique qui s’échappait de ses mains, il se moquait bien de savoir si quelqu’un lui prêtait attention… Il offrait simplement ses compositions à la matinée pluvieuse et grise, aux murs humides et aux relents maraichers… Une vieille dame un peu simplette avait posé son cabas, toute à sa joie d’assister à ce concert improvisé, elle l’applaudissait sans se soucier d’attendre une de ces pauses convenues auxquelles un auditoire averti ne dérogerait pas, et me voyant m’approcher, s’inquiétât de me savoir ravie moi aussi. Le jeune garçon de temps à autre tournait vers nous son visage angélique et nous souriait comme certain archange… Quand il s’arrêtât un instant, ce fut pour nous dire merci, comme si son bonheur ne dépendait que de nous, je me sentis timide et empruntée pour lui confier combien sa virtuosité me comblait et donnait à ce Mercredi un air de Dimanche à la Salle Gaveau. Baissant la tête et modestement heureux de nous avoir fait plaisir, ses mains caressèrent le clavier, mais il n’était déjà plus là, la musique l’enlaçait tandis qu’il l’embrassait sous les lambris d’un petit pavillon Baltard…

A l’inconnu qui enchante le marché certains matins…

One Reply to “Marché, piano, bonheur…”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *