Que deviennent les bureaux désertés, les salles d’attentes quand la nuit est tombée ? Vides des présences qui leur prêtent un soupçon de vie, les murs gardent-ils dans leurs angles ces couleurs de vieux thé trop infusé ? A quoi sert d’essayer de rendre ses endroits plus attrayants quand la plupart de ceux qui les fréquentent s’y autorisent tout ce qu’ils s’interdiraient chez eux ?.
En fin d’après-midi quelqu’un allumera un plafonnier dont quelques mouches auront fait leur mausolée. Une lumière blafarde prêtera un teint cireux à qui prendra patience sur les inconfortables sièges qu’on aura choisi au moins coûteux, à moins qu’il ne s’agisse d’un recyclage probable du maitre des lieux. Que la poussière y soit reine ou qu’une peinture fraîche les parfume, je m’interroge sempiternellement sur le goût de la laideur affiché sans pudeur dans ces lieux publics.
Des affichettes « 21×29,7 » punaisées proposent de la lecture aux usagers qu’on prie de laisser l’endroit aussi propre qu’ils l’ont trouvé, à qui l’on conseille de ne pas emprunter les journaux posés sur la table, qu’on menace d’amender s’ils ne se présentent pas à l’heure proposée, ou qu’on soupçonne à la vue d’un chéquier.
Quand aux tableaux, s’il y en a, dont les ciels sont trop bleus, les eaux trop vertes ou trop écumeuses, le soleil trop jaune, ce sont de pitoyables affronts à la courtoise d’un accueil.
Les cent pas de l’ennui et de l’impatience ont de concert usé le sol aux mêmes endroits, la fameuse plante verte universelle n’en finit pas de s’étioler autant de soif que d’ennui. Les fenêtres s’ouvrent sur une cour intérieure dont les émanations peinent à rafraîchir la pièce.
Moi qui crois à la mémoire des pierres, je m’interroge souvent sur celle de ces murs dont l’âme est bafouée depuis tant d’années. Que retiennent-ils des ombres diaphanes qui se sont assises stoïquement ? Qui pianote encore sur les claviers éteints, de quoi résonnent les standards dans le vide, qu’en pensent les répondeurs monocordes qui répètent inlassablement l’absence ?
Salles d’attente, bureaux, couloirs labyrinthiques, maisons, appartements, locaux inoccupés à vendre ou à louer, que renferment vos entrailles ? Que vous reste t’il d’intime qui n’ait été indécemment dévoilé et meurtri d’indélicatesses ? Il me plait d’envisager qu’opiniâtres, vous puissiez dans un souffle de résistance de quoi vous révéler tout autres quand les clefs ont tourné, l’imagination alors seule au pouvoir, vous redéfinirait d’un sursaut d’élégance et d’esprit dont les heures ouvrables vous confisquent injustement la jouissance. Objets inanimés, avez-vous toujours une existence quand vous quittent nos regards ?
🙂