La lune est grise qui laisse ce soir le ciel éteint. L’obscurité est tombée tout à l’heure, presque sans prévenir, parce qu’il état l’heure et qu’elle n’avait rien d’autre à faire. Sans aucun nuage pour nous en protéger, le froid en a aussitôt profité pour se vautrer dans la nuit étoilée, les gens pourtant emmitouflés se sont hâtés de s’en retourner chez eux, d’ailleurs la ville allait bientôt elle aussi se taire et s’assoupir…
Il y a des brunes moins douces que d’autres. Celle là en avait gros sur le coeur. Certaines journées sont si lourdes à endurer que c’est dans l’obscurité qu’elles sont plus faciles à oublier.
Les volets partout se sont baissés, et les portes se sont cadenassées, comme pour empêcher que le peu de gaité emmagasinée ne s’échappe des foyers. N’en subsiste qu’une buée qui floute les vitres des fenêtres et glisse comme une larme qu’on peine à retenir.
Il y a des jours griffonnés au fusain noir qu’on devrait oublier au fond des tiroirs. Mais tourner la page n’est pas l’effacer… Et ce qui a été ne peut que rarement être corrigé. La lune bistre est là pour nous le rappeler, celle là ne cherche jamais à nous en consoler, elle insiste toute la nuit à souligner les silhouettes et les ombres d’un trait sombre et sibyllin, comme si ces heures de plomb n’étaient pas suffisamment oppressantes…
Vous allez vous coucher en tirant vos édredons jusque sous le menton pour avoir bien chaud, en chien de fusil, blottis contre vos oreillers de plumes et de lin, le sommeil pour quelques heures vous emmènera trouver du réconfort ailleurs, des songes, peut-être, adouciront vos soucis, vos déceptions ou vos malheurs, et plus tard, quand un nouveau matin poindra, vous choisirez un crayon de couleur qui saura l’éclairer autrement, en évitant toujours d’en ourler trop les bords, alors seulement, pour plus d’harmonie, la lune argentée du coucher rendra la nuit moins opaque, et notre état d’esprit plus apaisé…
A nos nuits sans lune…
« Il n’y a pas de plus beau fil que celui des fileuses de lune. Au matin le soleil les ramasse sur les prés humides pour tisser sa chevelure.
Antoine de Marville dans « Ariane et les autres »