L’appartement est vide. Et tellement émouvant dans ce dépouillement inhabituel…

J’arpente chaque pièce en les remeublant virtuellement telles que nos parents les avaient aimées. Mais ce vide là est bien plus profond que la simple disparition d’armoires, de tableaux, de fauteuils ou de tables… C’est un vide définitif, un vide rempli d’absences, l’épilogue de toute une vie…

Les murs sont nus, en partant, les meubles et les tableaux ont laissé leurs empreintes sur les tapisseries désuètes, le « tapi-sol » a vécu son temps de gloire à l’époque où rien, ni moquette ni parquet ne semblaient pouvoir le détrôner, lui cédant la place sans renâcler puisqu’il semblait plus facile à nettoyer… Comme d’habitude les modes changent et datent impitoyablement leur épopées…

Je ne parviens pas à m’extraire de cette bulle de nostalgie, je traverse les pièces où je jurerais entendre le brouhaha des conversations animées dans le salon, les bruits de vaisselles et de couverts dans la salle à manger, c’est le claquement de la vitre coulissante de la loggia, le fil qu’on tire pour fermer les rideaux, le grincement du volet qu’on descend… Il y a aussi, peut-être, une odeur de tabac froid, quelques volutes à l’emplacement du canapé… Et toujours ce curieux vide qui pèse lourd, et cisèle douloureusement la mémoire des murs…

C’est mon adolescence qui s’était installée là, bien à l’abri du temps qui passe, dans ce cocon d’amour qu’ils avaient tissé tout autour, comme pour retenir la vie d’avant, celle où mon frère et moi faisions encore partis des « locataires », même si ça n’était plus que de façon épisodique… Peut-être espéraient t’ils ne plus vieillir, ou moins vite, si quelques reliquats de notre présence avaient gardé leurs place dans nos chambres attribuées pourtant à d’autres usages…

Chaque fissure, chaque tâche malencontreusement mise à nu par cet effrayant vide m’est familière… Il me faut me recueillir ici comme sur une tombe, celle d’un passé de plus en plus lointain, qui entraine avec lui dans sa fuite éperdue, tout ce qui fut un jour empli et vivant… Il me semble que veillent encore leurs âmes au coin du couloir, qu’ils m’accompagnent dans ce dernier « tour du propriétaire », demain d’autres s’accapareront les lieux et n’y verront rien ni de fantomatique, ni d’émouvant, puisqu’à leur tour ils en définiront autrement leurs contours.

Je ne suis pas étonnée, j’ai déjà connu ailleurs ce nécessaire « adieu » à ces maisons où on ne reviendra plus… Toutes les portes se ressemblent quand il faut une dernière fois les refermer et donner ces deux tours de clefs… Ce n’est pas une porte qu’on claque, mais une porte qu’on tire doucement sur ce qui fut et n’est plus, en gravant à jamais dans son cœur et sa mémoire sur le seuil de son entrebâillement, cette ultime permission de regarder son passé…

A Maman et Papa… 26 Juillet 2019

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