J’ai rêvé que je marchais, j’avais traversé des plaines, arpenté des forêts, quelques torrents furieux m’avaient offert, compatissants, de lourds rochers en guise de gué, j’avais longé des rivières aux rives herbeuses, et dû contourner des marais pour ne pas m’y enliser… Parfois certaines clairières m’avaient laissé espérer un repos mérité, mais à peine découvertes, au loin d’autres taillis épineux se laissaient deviner, et d’autres chemins embourbés se profilaient… Je respirais à plein poumons l’air de ce matin humide, une bouffée de bien-être après un périple éreintant, une bruine légère mouillait mon manteau de laine, « en Avril ne te découvre pas d’un fil »… Voilà qu’un sentier tortueux m’amenât au bord d’une falaise. Tout en bas, posé comme un cadeau enveloppé d’un ruban de brumes grises, se profilait un paysage familier, quelques toits luisants de rosée, un clocher, et ce grand bâtiment gris qui s’imposait dans cette scène bucolique, tel une rature sur une belle page d’écriture, repoussant les maisons alentours qui semblaient se recroqueviller à contre cœur pour lui laisser de la place…

Je sais déjà que mes pas me conduiront là-bas, comme d’habitude, quand je ne rêvais que d’un gîte douillet et d’un feu de bois dans l’âtre… Me blottir dans un vieux fauteuil élimé, remonter une couverture jusqu’au menton et laisser les flammes virevoltantes me réchauffer à l’abri d’une lecture… Une étape de plus est nécessaire. Mon corps ne me laisse pas le choix, je ne décide rien de ce à quoi il me contraint. Je ne peux que me soumettre à son bon ou mauvais vouloir, je ne peux qu’avancer vers ce bétonnage sans âme, et inquiète, m’enquérir de ce contre-temps déplaisant… C’est un jour sans fin où chaque instant se répète inlassablement, je soupçonne ce qui m’attend, mais je vais à sa rencontre sans avoir besoin de demander mon chemin. Je le connais hélas trop bien pour l’avoir fait d’autres fois… Pourquoi faut-il toujours que mon Demain soit décalqué sur mon Hier, avec ce tampon à l’encre rouge appliqué sur une page déjà écrite : « Copie » ?…Je ne me réveille pas, c’est un vilain rêve qui s’incruste sans pitié et ne me laisse pas de répit. Je n’en suis pas surprise, comment l’être quand, récurent, il n’a plus de secret pour moi… Je sais qu’il va encore falloir s’accommoder de cet itinéraire incontournable puisque tous les autres sont impraticables… Mais, rêve ou cauchemar, la réalité vous évincera tandis qu’à mon réveil, j’aurai encore affronté mes peurs et peut-être appris de mes embûches à mieux négocier les virages de plus tard.

C’est un caillou dans ma chaussure qui me rappelle sans cesse à son bon souvenir… C’est cette fâcheuse tendance à n’être jamais surprise d’une adversité, mais inquiète d’une pose joyeuse, comme si affronter m’allait mieux que bénéficier…

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