Je veux parler de cette colère qui nous ronge de l’intérieur, de cette colère « bien élevée » qui s’interdit la plupart du temps d’exploser, parce qu’on vous a appris à la maitriser, à ne pas dire tout haut ce qu’on pense tout bas, puisque toute vérité n’est jamais bonne à dire, (mais que pour autant certains ne se privent pas de vous asséner sans se demander si vous avez envie de l’entendre…) et qu’on vous martèle à l’envie qu’avoir de l’empathie est essentiel pour vivre dans une société sans querelles…
Pour peu qu’une éducation judéo-chrétienne ait saupoudré ses grains de sel sur nos enfances quadrillées, je vous laisse imaginer le naturel qu’on met à étouffer toute velléité de rébellion que notre cerveau limbique aurait la témérité de nous suggérer…
Ces petites et grandes colères qu’on retient comme on s’empêcherait d’éternuer, s’accumulent et prennent bientôt tant de place dans notre quotidien qu’on peine chaque jour davantage à les contenir… D’agacements en impatiences, de rancœurs en amertumes, d’acrimonies en rancunes et de tristesse en chagrins, toutes ces colères se mêlent pour qu’à la fin on ne se souvienne plus exactement de la véritable raison de notre exaspération !…
C’est ainsi qu’on se retrouve à nager une brasse désordonnée dans une rivière de bons sentiments qui ont bu la tasse et coulent dans la vase… Plus moyen de s’en extirper sans aide à moins de réussir à prendre quelque distance avec cette folle farandole d’émotions qui nous submerge, ou accepter de s’arrêter un moment pour reprendre son souffle et comprendre pourquoi on s’est mis dans cet état là…
Encore faut-il que « les autres » nous en laissent la possibilité, ou qu’on résiste à leurs « y’a qu’à », « à ta place » ou « t’a qu’à » ou parfois aussi à leurs silences, leur immobilisme… Car bien sûr, jamais les coupables ne se doutent d’avoir pu contribuer de près ou de loin à vos horripilations diverses, et ne se privent pas de vous trouver « bien nerveuse », « très irritable », « toujours de mauvaise humeur ou pressée » (oui, pressée de ne plus vous subir !), jusqu’à vous conseiller de vous faire « aider », forcément, « tu ne supportes plus rien », « mais pourquoi tu cries ? » « mais enfin, qu’est-ce que tu as ? » J’en passe et des meilleures, qui ont le don de vous faire alors sortir de vos gonds, au grand étonnement de ces mêmes questionneurs qui vous ont jusqu’ici plutôt connue patiente et « bien élevée »…
Il y a beau temps que j’en ai compris la genèse, ce qui ne m’empêche aucunement jusqu’ici de tomber dans le panneau, et si j’entreprends d’y remédier en remettant en question et mes comportements et l’interprétation de ce qui les induit, je m’aperçois que je suis bien souvent la seule à le faire, tandis que mes vis à vis continuent leur petit bonhomme de chemin sans davantage s’interroger, ainsi voit on fleurir alentours, dans nos échanges, conversations, ou réseaux sociaux, moult conseils qui ont l’heur de nous exaspérer encore davantage sur le thème éculé de l’égoïsme nécessaire pour survivre en l’état des choses…
Mais vous en conviendrez, dans ce contexte, on est forcément toujours l’égoïste de quelqu’un, tandis qu’on s’évertue à ne pas s’oublier à force d’être « bien élevé »…
Pour ma part, quand la coupe est pleine et qu’elle me devient trop lourde à porter, je me promets à chaque fois de ne plus céder aux lancinantes sirènes de la culpabilité ou de le gentillesse à tout prix… Mais on ne change pas fondamentalement sa façon d’être, tout juste parvient on à donner quelque inclinaison à sa posture pour ne pas se faire complètement dévorer… La force de l’âge donne cette ultime énergie de ne plus vouloir gaspiller son temps pour les causes réellement perdues à l’avance, ni de ne se laisser traverser par toutes ces ondes négatives que nous renvoient certains êtres ou certains lieux.
CD’O (1) : » Tous aux abris. Faites gaffe ! Je vais penser à moi maintenant ! »…
(1) CD’O : : Réduction de « clin d’œil »du latin claudere : expression faciale intentionnelle obtenue en fermant un de ses deux yeux pour exprimer la connivence ou la complicité. Remplace PS (Post-scriptum, du latin postscribere – écrire après) quand un peu d’ humour est nécessaire pour faire passer un message ferme (mais gracieux) à ceux qui en me lisant (peut-être) se sentiront concernés (ou pas)…