Un grenier, c’est rempli d’un tas de choses qu’on a oublié, c’est un cimetière de souvenirs qu’on ressuscite en ouvrant des cartons, en feuilletant de vieux courriers froissés, en tombant sur une photo décollée d’un album abimé…

Mon grenier a recueilli tout ce que ma petite maison ne pouvait accueillir, tant la précédente avait pu faire de place à l’indispensable comme au superflu…

Pendant des années les caisses s’y sont empilées, à se raidir de froid sous le toit givré ou à mollir sous la touffeur d’étés caniculaires, prenant la poussière des années qui, s’égrenant, brouillaient l’écriture au feutre épais et noir qui l’une après l’autre les nommait.

Parfois un de mes enfants de passage montait y dénicher de quoi se meubler ou, pris d’une fièvre exploratrice, d’un coup de cutter décisif remettait en lumière une vaisselle emmaillotée dans un papier journal tout jauni, un jouet ou un bibelot délaissé depuis bien longtemps… Eux comme moi nous étonnions alors de redécouvrir ce qui, pourtant, faisait autrefois partie de notre quotidien, et l’objet retrouvé prenait alors une valeur que parfois il n’avait jamais eu… Ainsi combien d’entre eux ont-ils reconquis une étagère, voir un salon où pour quelques temps ils trôneront jusqu’à ce qu’un jour, ils deviennent à nouveau encombrants ou démodés et rejoignent  les soupentes d’une mansarde, à moins qu’ayant épuisé leur charme désuet, ils ne finissent au dépotoir…

Mon fils m’a convaincue ces jours-ci d’y monter faire un tri, mais, comme il dit, un « vrai tri » qui mènerait à décider sans indulgence quoi garderait là-haut sa place… Difficile exercice pour qui aime conserver ce qui pourrait peut-être un jour servir encore ?… Cruel dilemme d’avoir à choisir quel souvenir est à bannir, quel autre mériterait de s’endormir dans la naphtaline ?… Bonne idée cependant, car de l’espace libéré naitrait peut-être plus tard quelque espace de vie supplémentaire… Et je ne pouvais décemment pas lui avoir laissé traversé la France pour m’aider dans cet intransigeant projet sans moi aussi aller braver les araignées…

J’ai monté chaque marche de l’escalier comme autant d’années « à reculons », chaque carton s’ouvrait en exhalant des bribes de ma vie. Toutes ces heures passées dans la fraîcheur d’un grenier de janvier auront été un voyage en nostalgie, où parfois il me fallait m’arrêter de choisir pour me recueillir sur quelques lignes écrites vingt ans plus tôt, lignes qui, à elles seules réveillaient un bonheur, un espoir ou un chagrin… Sur un vêtement gardé pieusement dans un papier de soie, et qui si longtemps après garde encore le parfum d’un être cher, ou l’empreinte d’une émotion, sur un dessin d’enfant tendrement dédicacé, sur ma jolie robe de mariée en broderie anglaise qui, un après-midi de juin 1975, me fit croire que le bonheur pouvait être éternel, mon grenier a quelquefois l’allure d’un reliquaire !…

Ce soir, mon gamin aura vidé mon grenier, sans trop d’états d’âme, la jeunesse a devant elle tout l’avenir pour remplir à son tour le sien…

Et ce sera pour moi une page de plus tournée, sur la fin de mon cahier j’écrirai, sans trop faire de ratures j’espère, et sans avoir besoin de rien gommer, tout ce qui continuera de rendre ma vie plus jolie, plus dense, plus contrastée. Car ce sont tous ces moments, rocailleux ou harmonieux, qui se transforment très vite en bons ou en mauvais souvenirs, qui remplissent nos greniers et nous autorisent parfois à prendre le temps de porter un regard indulgent et apaisé sur ce que nous fûmes et sur ce que nous serons…

 

A mon fils Pierre, qui lui aussi, en rangeant mon grenier, vient de faire ses « premiers pas » en Nostalgie…

 

 

 

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