Il faut longtemps marcher sur des galets, se tordre les chevilles quand ils roulent sous nos pieds, enfin dépasser le talus qu’à force de les bringuebaler la mer a fabriqué, pour que la Manche enfin nous soit dévoilée, brune de vase sableuse, colère et d’humeur maussade, comme le ciel ici en a souvent l’apanage…

Les falaises blanches timidement prennent possession d’Ault, s’affaissent plus loin devant Mers et sa concurrence de maisons colorées, leurs façades dentelées de bois sont parfois heureusement réanimées, tandis que bien d’autres croulent sous les assauts unis et répétés des embruns, du vent et des années… Plus loin Le Tréport laisse les falaises reprendre l’avantage, installe un funiculaire qui ne va nulle part, ainsi va  la côte fragile, comme découpée au couteau d’une main hésitante,  qui voit impuissante s’effriter la craie à ses pieds…

Plus haut sommeille la Baie, qui use son temps à s’ensabler entre courants et marées, bientôt la mer s’en sera retirée, lassée d’user tant d’énergie pour se frayer un chemin jusqu’aux prés salés… Adieu veaux vaches moutons…  Le Crotoy et Saint-Valéry seront bientôt réunis, l’heure des marées sera le cadet des soucis des bateaux échoués, Bibendum Michelin aura gagné du terrain et les mouettes s’ en iront rire plus loin…

Les phoques, eux, auront à jamais perdu l’éphéméréité des bancs immaculés, l’eau en se retirant les auront rendus accessibles et donc forcément souillés par les touristes pressés de les approcher, alors ils devront encore et encore plus avant ramper sur l’arène avant de rejoindre une onde poissonneuse qu’ils ne disputeront plus aux filets des marins… Leurs frimousses aux yeux ronds ne viendront plus comme aujourd’hui s’étonner de nos glissades silencieuses en pirogues hawaïennes, nous serons privés de plonger nos yeux dans les leurs, quand ce moment magique nous interroge et nous rend enfin modestes… Leur regard, croisé quelques secondes seulement, nous laisse timides et honteux de n’être que des hommes, nous qui, trop souvent, n’avons plus autant qu’eux cette tendre curiosité, sans calcul, cette douce candeur, cette lumière d’humanité… Éphémère rencontre, mais tellement émouvante…

Baie de Somme, avec ses grandes maisons d’armateurs qui côtoient celles, minuscules, des pêcheurs, Baie de beauté et de pauvreté, à l’affût de ce tourisme pourvoyeur d’une économie là-bas plus qu’ailleurs à l’agonie,  Baie d’Histoire, Baie de marais où tous les extrêmes se rejoignent pour la rendre sauvage ou familière, ensoleillée souvent, chaleureuse toujours, sous le crachin ou balayée par le vent d’autan…

Merci à François de « La Garçonnière », à « C’est la vie Abbeville » et son délicieux waterzooi, à Olivier et ses pagaies, aux couchers de soleil qui embrasent la Baie…

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