Il est des lieux qui à jamais nous appartiennent : parce qu’on les a découvert à deux, qu’on les associe à un moment privilégié, ou à un évènement particulier.

Ainsi nous gardons dans un coin de notre cœur une petite crique bretonne coincée entre deux escarpements schisteux. La côte sauvage en est joliment festonnée, mais celle-là nous vit, une brune de Mars, main dans la main, fouler sa plage de sable et de galets ronds, y laisser nos empreintes s’évanouir sous les assauts de la marée, et cependant pressentir que chacune d’elles seraient la signature d’un acte de propriété sentimental…

Ainsi, chaque retour à Quiberon, nous empruntons la route côtière qui nous mène à l’anse de Port Bara, et si, quoiqu’à une heure de Misanthrope, quelques serviettes et leurs propriétaires s’y pavanent encore, nous nous sentons égoïstement envahis, au point qu’ il s’en faudrait de peu que, tels des wisigoths, nous revendiquions haut et fort nos droits d’amoureux sur l’endroit !…

Alors, patiemment, nous jouons la montre, espérant qu’une brise fraîche ou qu’une fringale éloignent les intrus, pour enfin nous réapproprier Bara, ses galets et ses falaises de schistes bruns, son sable blanc, le vent et l’océan…

Et chacune de nos retrouvailles est un bonheur primitif, nimbé du silence bruissant des rouleaux, du raille des goélands, et du souffle du vent s’engouffrant dans la marine. Au soir tombant le soleil s’agenouille et se fait peintre : puisant ses couleurs dans la nacre des coquillages ou dans le bistre des schistes humides, pour les poser en touches lumineuses sur l’océan.

Tel un ogre à l’appétit insatiable, depuis l’Origine à ne vouloir faire qu’une bouchée de la Terre, en vain, l’océan s’élance à l’assaut des rochers, ronge la plage, recule pour mieux reprendre forces et élans, de rage et d’écume fait de n’importe quel granit une bille ou un galet… Impuissant minéral devant l’onde froide, qui depuis longtemps déjà a renoncé à lutter, et se laisse rouler et enfouir dans le sable gavé qui gargouille d’une gorgée de trop avalée… L’océan a tout son temps et davantage encore… L’océan obstiné a la persévérance de qui sait qu’il va gagner, l’endurance de qui sait être, à l’usure, le plus fort des deux… « Qu’importe vos rocs affutés, qu’importe vos sables,  je n’en ferai qu’une goulée… » roule t’il d’une voix de Gargantua…

Et de fait les vagues creusent parfois une roche, épargnant ses voisines, laissant croire alentours à quelque indulgence… Pour qu’un soir, épuisée, l’une d’elle s’effondre en un sinistre fracas dans l’onde victorieuse, fragilisant ainsi ses proches pour mieux les promettre à l’abîme… Le Temps, vous dis-je, est son meilleur ami…

Bara sauvage… Bara de sables évanouis…  Bara de lumières tamisées quand bientôt le soir s’en empare… Bara indomptable, où l’eau, à quelques mètres à peine semble déjà d’un autre Monde, barbare, inapprivoisée et inapprivoisable, infatigable, hostile et inquiétante…

Mais Bara tel qu’on l’aime, NOUS !…

 

Bara –  Mai 2014 –

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *