Le croirez-vous, vous qui peut-être n’avez heureusement pas encore éprouvé de grands chagrins, le croirez-vous qu’après huit années passées, sa « décision » de mourir puisse encore s’immiscer dans  ma vie, mes pensées, mes doutes, mes rares certitudes ou mes bonheurs ?…

Mon chagrin est un deuil impossible, fait d’impuissance, de douleur et de colère… Oui, de colère. Comme parfois certains en veulent injustement à un proche d’être gravement malade,  comme s’il s’agissait d’un abandon… La colère, certes mauvaise conseillère, se fait parfois onguent sur une douleur trop insupportable…

Des années de combat contre cette foutue maladie qui ronge l’âme et n’hésite pas à assouvir son insatiable appétit dans celles de ceux qui osent lui tenir tête en soutenant du mieux qu’ils peuvent sa proie…

Une course contre la mort que presque inéluctablement la garce gagne, et me voilà seule, terrifiée par le geste suicidaire, entre empathie et incompréhension, effondrée de chagrin, coupable d’être vivante et de n’avoir rien pu empêcher…

Le chagrin est tellement abyssal et le vertige si insupportable que seule la colère me permit d’affronter son départ volontaire et programmé !… Perdue entre chagrin et ressentiment, ne sachant comment me défaire de cette impossible chape de plomb, pétrifiée dans ce silence inhumain, accablée par cette absence inexorable et cruelle, il me fallait parfois, pour y survivre, faire de mes larmes de chagrin des larmes de colères…

Quelques en soient les raisons, quand il y en a, quelques en soient les turbulences et les nuances, un suicide est une remise en question pour ceux qui restent, anéantis, rarement surpris par cet épilogue redouté, car tenté souvent, raté parfois, comme autant d’appels au secours qu’aucune aide ne peut malheureusement apaiser…

Que se nomment et parlent les censeurs ou qu’ils se taisent à jamais ! Pourquoi,eux, qui semble t’il, avaient la solution, ne l’ont t’ils pas partagé pour le sauver ?… Que savaient-ils mieux que moi, que nos enfants, que les médecins pour affirmer de façon si péremptoire que nos avons échoué, que nous ne l’avons pas suffisamment aimé quand eux-mêmes étaient aux abonnés absents si par hasard, nous avions eu besoin d’eux ?…

Moi, j’ai fait comme j’ai pu, avec bonheur ou maladresse, humaine, terriblement et seulement humaine, assise auprès de lui, puis sur la pierre froide de sa tombe, à tenter de le convaincre qu’il nous était précieux, que la vie, au fond, valait la peine d’être vécue, quelques soient les difficultés rencontrées, puis, sous le soleil impudent à l’ombre de sa vie, à lui dire combien il me manquait, à l’interroger sur le pourquoi de ce geste irréparable, à le supplier de me parler, encore, une toute dernière fois, de me dire un dernier mot, au lieu de me laisser dans ce vide incommensurable…

Aujourd’hui encore, alors que ma vie a repris de jolies couleurs, il n’est jamais bien loin, au détour d’un paysage, aux notes d’une musique, dans une expression qui lui était familière, au cœur d’un nouveau et tendre bonheur, justement, quand tout ce qui m’arrive est trop doux, trop beau, trop « confortable », il est là, avec ce regard plein de tristesse qu’il promenait sur des jours devenus pour lui autant d’agonies, il est là, curieusement si présent dans son absence, et  toujours cette nostalgie d’un temps qui n’est plus et ne sera jamais plus…

Alors, dans ces instants là, je l’aime plus fort que jamais, et si toutefois il y avait à lui pardonner ce geste aussi courageux qu’égoïste et impitoyable, je lui pardonne tout, et je me pardonne à moi aussi d’avoir été si longtemps et peut-être pour toujours, en colère… Au diable l’élégance du malheur, que la paix soit avec lui, et avec nous aussi…

 

 

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