Un soir de septembre, il y a bien longtemps, deux toutes jeunes « pensionnaires », le mot à lui seul nous définissait entièrement, deux petites filles donc, s’étant observé un moment raisonnable, durent se dire qu’à deux le « cafard » deviendrait moins lourd à supporter. L’Une adressa la parole à l’Autre, ce fut sans doute moi, impénitente bavarde, qui provoqua l’échange prometteur.

Je suis bien incapable de me souvenir aujourd’hui, de ces premiers mots qui nous emportèrent dans cette amitié devenue depuis indéfectible !

Mais dorénovant, nous arpenterions, l’âme plus légère, en jupes plissées bleu marines et chemisiers immaculés, les couloirs « grisouilles » du pensionnat de Notre-Dame. Le coeur moins lourd sous nos blouses indigo où nos noms et prénoms avaient été brodés, une ceinture bariolée aux couleurs de notre classe, nous n’échapperions pas non plus aux « grandes » chaussettes et aux chaussures à lacets marrons, la bride à cette époque paraissaient aux « mères » toutes en robes et voiles noirs,outrageusement provocantes, le talon, si insignifiant fut-il, était synonyme de débauche et valait un renvoi…

La conciergerie du dimanche soir me tirait quelques larmes vite consolées à l’idée de retrouver mon amie, quand défaisant nos valises nous en sortions quelques croquantes de la « fête » (foraine) en octobre, ou friandises que nous nous empressions de cacher sous nos piles de vêtements, à l’abri du regard inquisiteur de nos duègnes ou de la convoitise de nos semblables…

Les interminables et récurentes messes de semaine, les prières sans lesquelles aucune activité ne pouvait ni commencer ni finir, le réfectoire dont absoluement TOUS les repas comportaient de la « patate » (trimballée sur des chariots métalliques des plus encombrants et bruyants) furent autant de raisons de nous unir pour mieux en sourire… Il y eut aussi les austères récollections où les religieuses nous enjoignaient d’être à l’écoute du « Père » qui pouvait à tout moment nous « appeler »… Ce qui, en termes plus concrets, revenait à nous « menacer » de cette fichue « vocation » à devenir bonnes soeurs à notre tour… Alors c’est en ferventes prières, pour une fois sincères, que je suppliais ce « Dieu » exigeant de n’en rien faire, et pour en être plus certaine, de mes deux mains je me bouchais les oreilles dès que je rentrais dans quelconque chapelle ou église dans lesquelles, de source sûre,  « Il » avait domicile … Je n’étais alors jamais véritablement sereine, puisqu’Il était Partout chez « Lui » et que son regard sévère nous jaugeait du haut d’un ciel bleu azur cependant lourd de reproches en tous genres…Pour adoucir notre « Bastille » judéo-chrétienne,  il y avait heureusement les sorties des jeudis après-midi (de  trois heures et demie à cinq heures et demie…), les cours de danses ou de piano, quelques après-midi invitée chez l’Une ou chez l’Autre.

A quatre heure (et demi… allez savoir pourquoi, tout là-bas commençait ou finissait à la demie ?…) nous nous précipitions à la porte du réfectoire où l’on nous donnait royalement une demi-baguette (vous voyez bien, encore cette agaçante demie…) et deux barres de chocolat noir.

Le soir venu, nous allions cruches sous le bras jusqu’aux lavabos à côté des armoires marrons près desquelles chaque veillée nous cirions nos chaussures. S’ensuivait un ballet de chemises de nuits, serviettes et gants de toilette, puis, une dernière prière murmurée, et le dortoir chuchotait jusqu’à s’éteindre de fatigue jusqu’au lendemain matin.

Nous avons eu la chance de savoir saisir au vol cette rencontre inattendue au seuil d’un Couvent d’Oiseaux qui nous semblât d’abord lugubre… Deux ou trois petites années scolaires à peine. De quoi cependant semer les graines d’une jeune affection, qui fut nourrie de cette expérience commune, courte mais dense de souvenirs qui sont devenus autant de solides fondations et le ciment de l’amitié d’une vie, parce que c’était Elle et parce que c’était Moi…

Bien des années ont passé. Pendant quelques unes nos chemins furent différents, puis la vie faisant parfois bien les choses, elle nous réunit à nouveau. De mariage en maternités, ce furent d’autres jolies raisons de se fabriquer une mémoire commune, les petits et grands bonheurs en jalonnèrent les saisons, mais il y eut bien sûr, quelques automnes humides et de bien rudes hivers…

Je ne saurais vous dire de quoi nous est venue cette force, cette fidélité, cette permanence, tout en fait, nous a toujours paru évident, et jamais il ne fut particuliérement question d’en parler entre nous. C’était, tout simplement.

Mais voilà qu’après un autre grand chagrin, l’Une a écrit une lettre à l’Autre, je crois bien que de lettre non plus il n’y en eut guère…

Celle là restera, je vous l’assure, jusqu’à son dernier souffle près de celle qui l’a lu. En peu de mots, mais quels mots, l’Une a résumé ce qui la liait à l’Autre, et la lisant, l’Autre regrettait de ne pas les avoir écrit plus tôt pour Elle justement…

L’Amitié n’a généralement pas besoin de grandes phrases, elle se suffit de sourires, de connivences, de partages, de gentillesses, l’amitié a ses pudeurs et ses rudesses, ça ne s’explique pas, c’est pourquoi, quand de façon inattendue, mon Amie à moi, a pris le temps de transformer une simple feuille de papier blanc en un témoignage des plus émouvants, pour me dire un « Merci » qui, vous en conviendrez, n’avait pas lieu d’être, puisque si tout va de soi, c’est bien en cet endroit, et bien moi, je vous le dis, ça vaut tous les lingots du monde, qui tout étincelants qu’ils soient, n’auront jamais la valeur d’une véritable et profonde amitié comme celle que toutes deux on s’est tricotée !…

Très affectueusement et tendrement, à mon amie Catherine A. B.

A son mari JLA qui lui aussi est devenu mon Ami, et bien sûr, évidemment, à son frère JCB parti il y a quelques jours, et qui nous manque et nous manquera beaucoup…

 

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