Le pont s’envole d’un seul élan au-dessus de l’océan, une arabesque élégante qu’on peine cependant à ne pas ressentir comme une intrusion, une île, disait-on, entre ciel et mer… Adieu bacs et interminables files d’embarquement, adieu risées marines et embruns sur nos foulards noués, l’île est aujourd’hui bien trop vite conquise ! En faisant fi de l’eau comme dernier bastion avant l’invasion, l’ouvrage nous prive de cette douce impatience, de cette idée d’abordage, de la fascination qu’enfant nous avions des profondeurs marines, du frisson qui nous parcourait quand nous imaginions sous la coque tant d’onde et de poissons…

Le gaillard expire en douceur aux abords des Sablanceaux où les premières rhétaises de pierre s’abritent derrière leurs murets blancs. Les volets n’en trahissent que de rares occupants tandis que la plupart, villégiatures, dorment sous un frileux soleil de Mars. Les « bobos » sont encore à Courch(evelles) ou à Cham(monix),  l’heure se prête davantage aux amoureux de ces lieux magiques parce que justement déserts…

Les marais nous invitent à la géométrie, les carrés dessinent de vastes damiers salés où les oiseaux tracent d’aériennes diagonales.

Dans le petit port de Saint-Martin en Ré les bateaux gîtent à marée basse, des bans de poissons s’épuisent nerveusement dans l’eau vaseuse, des mouettes s’agacent sur les filets usagés qui trainent en tas odorants sur le quai… La cité océane s’éveille aux beaux jours, les vitrines prennent des couleurs de printemps, les rues alentours murmurent qu’est revenu le temps des sachets de fleur de sel et des  cartes postales…

Les plages claires retiennent encore les bernaches qui, trop étonnées de nous voir les approcher de si près, en oublient de s’envoler ! Les huitriers ne relèvent pas le bec tant ils sont occupés à picorer le moindre petit bout de crustacé ou de vermicelle ensablé ! Une brise légère apprivoise les rayons printaniers, le soleil met son pyjama, et laisse tomber sur l’océan ses vêtements mordorés…

Le Phare des baleines dresse son capuchon rouge à la pointe du Pas du Grouin, j’avais le souvenir d’une immense côte de cétacé posée à l’entrée du bâtiment, preuve irréfutable qu’il s’était bien un matin échoué là, je l’ai retrouvé au seuil du vieux musée fermé, usée d’avoir été trop battue par les intempéries et caressée par les curieux, toute petite et fatiguée, mais là encore pourtant, triste relique de mes souvenirs d’ enfance rochelais…

L’heure est à flâner sur les pavés des ruelles d’Ars ou de Sainte-Marie, à glaner des senteurs d’iode et de sel pour les jours continentaux, car il faudra bientôt renouer avec la terre de bruyère, les sapins et les versants neigeux de mes Vosges lointaines… Où est donc cette fée qui propose aux enfants sages trois vœux qu’elle réaliserait sur l’instant… Nous sommes sans doute bien trop grands ou pas assez sages…  Et que ferions-nous d’un océan chez nous sans la tranquille douceur du « rien-faire » et l’idée qu’on se fait des vacances « à la mer »… Et sans doute y laisserions nous la joie enfantine et le bonheur magique de pouvoir rêver d’y revenir un jour, quand après d’autres saisons laborieuses sera revenu le temps des vacances océanes…

 

 

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