Là-bas les châtaigniers et les chênes s’ancrent solidement dans une terre grasse, élançant leurs branches noueuses vers le ciel d’un mois de Mars frileux… Les champs sont encore cernés de bouchures qui résistent pour peu de temps encore aux réformes agraires, la taille des buissons indispensable pour éviter leur envahissante croissance conduira les paysans, en les supprimant parfois, à rendre le paysage plus anonyme et moins berrichon… La Brenne tout près égrène des étangs et des marais ourlés de roselières où s’abritent foulques, grèbes et autres aigrettes.

Quelques maisons, granges ou fermes à colombages ont depuis des siècles ça et là dessiné des hameaux souvent investis par une même famille s’étoffant au fil des années de cousins éloignés. Celui-là est charmant, à quelques lieux de Saint-Benoît du Sault, avec ses poules à la croisée des chemins, pompeusement baptisées « rues » pour ne pas vexer le facteur, et les jappements des chiens à l’approche des promeneurs.

Mes amis sont de ceux à qui une seule vie n’aurait pas suffit, c’est pourquoi, il y a longtemps, ils en changèrent le cours, quittant la Lorraine pour Paris qui ne fut qu’un tremplin pour d’autres lointains pays, mais leur tropisme à eux fut pour la Chine. Quand fut venu le temps d’enfin retrouver ses racines, l’ancienne ferme berrichonne de leurs aïeux les adoptât pour qu’à leur tour ils en prennent grand soin. C’est évidemment ce qu’ils firent, même s’il fallut pour cela casser quelques pierres… Mais enfin, la maison semble y avoir trouvé son compte, comme respirant mieux dans l’espace libéré… La grange baignée de lumière abrite pêle-mêle de solides meubles berrichons et de fines chinoiseries… Des livres et des photos partout qui me racontent cette merveille de planète, dont nous ne sommes souvent que les hôtes indélicats, le tout vous enlace et vous laisse dans un bien-être qui tient à ce « je ne sais quoi » de l’union du champêtre et du mandarin…

La longueur de la table de la cuisine traduit le plaisir qu’ils ont à accueillir, les plats se chargent de dire leur générosité, la chaleur de l’âtre résume leur amitié, bref, c’est une maison qu’on aimerait nôtre, où plutôt, c’est exactement l’idée qu’on se fait de la bienveillance.

Quelques jours là-bas, sans horloge ni urgence, retrouvant naturellement l’usage d’un fauteuil et l’arôme d’un thé, glissant mes pas dans ceux d’un Gargantua qui jadis y aurait secoué ses chausses pleines de terre en laissant derrière lui ces jolies petites buttes de grès posées dans la campagne, relisant l’histoire au détour des châteaux et croisant Aurore Dupin à Nohant si bellement entourée par ses amis musiciens Frédéric Chopin, Frantz Litz, écrivains comme Flaubert ou Hugo, ou encore le peintre Eugène Delacroix… Dans ce Berry là on enrage effectivement de n’être point bouddhiste et riche de plusieurs vies pour mieux en savourer les détours, les splendeurs et les trésors…

Il fallut un beau matin s’en arracher, se persuader que cette parenthèse en appellerait d’autres, se convaincre que l’espoir d’y revenir serait récompensé de la foi qu’on y mettrait, et garder au fond du cœur le chant du coq au petit matin, la rosée givrée dans l’herbe folle, le déjeuner du jeudi chez Solange et André et le chemin humide qui menait à l’étang… Les vases chinois, le pâté de Pâques, le champagne et les éclats de rires, l’odeur du bois qui brûle dans la cheminée et celle du bonheur quand on s’aperçoit combien la vie, au fond, est généreuse…

A mes amis Brigitte et Michel, fidèlement… Mars 2013.

 

 

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