Exigeant  Alceste qui ne cède à aucune complaisance, et juge forfaiture cette aisance qu’ont les humains à confondre amitié et connaissances, galvaudant ce mot précieux qui obligerait pourtant à plus de décence…

Ainsi, la facilité avec laquelle nous traiterions d’égale façon nos amis et d’ordinaires compères, ferait qu’à la fin, le mot, lui-même perdant de sa valeur, priverait d’autant ceux là mêmes qui mériteraient pourtant  qu’on leur prête plus d’attentions ou d’honneurs !

Aussi affirme t-il haut et fort combien il lui répugnerait de faire partie des amis d’un Philinte qui le traiterait aussi bien que d’autres paroissiens, réduisant ainsi à néant son plaisir d’avoir été par lui choisi…

A cela Philinte explique combien au quotidien il est nécessaire de ne point faire état de ses préférences, la plupart des gens se trouvant flattés d’être traités avec considération, quelques courbettes concédées n’étant pas si honteuses pour s’en attirer de meilleures grâces…

Infâme marchandage, sombre chantage où l’amitié qu’on feint de porter à l’autre n’est que banale monnaie ! S’emporterait de rage notre Misanthrope préféré…

Je ne veux rien qui ne soit la vérité, au Diable l’obséquiosité ! Je préfère la solitude à de sottes amitiés ! S’enflammerait notre intraitable franc-tireur…

Il a mille fois raison cet homme intransigeant, sur une seule main, dit-on, compte-on ceux qui nous aiment vraiment…

Cependant, la courtoisie est impérieuse à qui veut éviter de sempiternelles guerres, elle nous contraint d’user de diplomatie, de ruses, le mensonge est presque inévitable pour ménager l’amour-propre et calmer les humeurs, cela n’empêche en rien qu’on n’en pense pas moins…

Appliquer l’intransigeante honnêteté d’Alceste nous conduirait tout droit sur une île déserte à moins de nous fâcher avec la terre entière ! Pourtant combien de fois n’avons nous pas regretté de n’oser dire aux fâcheux combien ils nous insupportent, et comme il nous plairait, justement, de nous éloigner d’eux, de n’avoir à user d’aucun vil accommodement, de vivre la conscience en paix, au lieu de nous la torturer sans cesse à trouver quels gants mettre pour s’entendre avec les pires coquins !… Comme on enrage également en constatant combien les malins sont habiles à manier l’ intrigue et la flatterie, et l’on s’étonne parfois d’observer que les sots ne sont pas les seuls à y succomber !…

La plupart des gens sont si contents d’eux-mêmes qu’ils sont bonnement ravis quand on fait sembler de les en vouloir persuader…

Demain, en retournant en société, je me garderai bien d’être trop honnête, je n’y gagnerai, à coup sûr, que de puissantes inimitiés, j’afficherai donc mon plus bon sourire, et trouverai mille feintes pour éviter plutôt que de combattre les raseurs et les malavisés…

A mon grand désespoir, je me détournerai d’Alceste de qui, pour autant, j’aimerais partager l’amitié… Mais pour ma tranquillité, je me rapprocherai de Philinte, sachant bien qu’ entre nous il ne sera jamais question que de courtoisie, sans une confiance mutuelle il n’est point d’ami…

 

« Il n’est pas dans l’ amitié de peste comparable à l’adulation, la flatterie, la basse complaisance »

CICERON (De Amicitia)

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