Et file l’asphalte et remonte le temps…

Là où naguère pointaient de timides bouleaux s’étend un petit bois exubérant où les fougères se mêlent aux ronces.

La route grimpe jusqu’au village presque désert ce tantôt.

Si les rues me sont familières, je n’y croise plus de connaissances, les années en passant ont fermé bien des volets et accroché de nouveaux rideaux un peu partout… J’ai dû louper un épisode, laisser passer une saison…

Une maison a poussé sur l’esplanade où pourtant les joueurs de pétanque avaient leurs habitudes depuis des lustres.

Le Bazar est devenu compagnie d’assurance, c’est indécent cette immense vitrine vide quand jadis les écoliers y découvraient les jouets exposés pour Noël et les œufs en chocolat de Pâques posés au milieu des cahiers, des fleurs en plastique, des produits à permanente, des caoutchoucs à conserves, des pièges à taupes ou des bouchons de liège…

Plus loin d’autres vitrines ont baissé leur rideau. Jadis trois bouchers et autant de boulangers achalandaient la population, on ne comptait pas moins de quatre épiceries, un cordonnier, un ferblantier, deux fleuristes et un tabac qui proposait quelques journaux et revues, sans compter Madame Germaine et sa collection de robes, chemisiers et colifichets…

Aujourd’hui une « grande surface » s’est approprié un champ de blé dans la combe tout près de  cette maison quittée depuis des années mais à laquelle je ne peux m’empêcher d’attribuer un adjectif possessif alors que d’autres y sont maintenant chez eux… Ce champs  je l’ai si souvent regardé onduler sous le vent d’été, comme une mer dorée sous la chaleur de Juillet…

La rue principale compte encore quelques boutiques d’origine reconverties en coiffeur, opticien, assureur, banquier, et miraculeusement persiste encore un boulanger… Bien peu de ce qui fut à mon époque  n’est arrivé jusqu’à aujourd’hui… Pourtant y flotte toujours le parfum de ma jeunesse, ce temps où tout encore me parlait d’avenir… J’ai toujours ce fol espoir qu’en retournant là où tout se conjugue aujourd’hui à l’imparfait, miraculeusement je retrouverai un « comme avant » qui effacerait tous mes chagrins…

J’ai traversé le bourg, y cherchant quelque retrouvailles rassurantes, un visage familier mais je ne croise que des inconnus qui semblent pourtant bien ici chez eux, tandis que je me surprend à n’y voir que des intrus… Que voient-ils de ce que je fus, il y a peu encore, bien avant eux, c’était ici chez moi, comment peut-on croire que les lieux restent fidèles ou immuables ?… Insidieusement ils dérivent vers d’autres époques, s’amourachent d’autres âmes… Pour s’y trouver encore chez soi, il ne faudrait jamais s’en éloigner ni louper un épisode, rater une saison…

A Bernard (+2005).

 

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