Ton visage s’illumine quand tu m’aperçois au bout du couloir. Tu t’étonnes toujours de me voir ici, comme si j’avais dû traverser la France entière pour arriver jusqu’à toi… Sans doute l’empreinte d’un passé où je n’habitais pas si près, quand mes visites espacées nous donnaient à toutes deux tant de joie… Si maintenant nous nous voyons presque chaque jour, ta défaillante mémoire t’en conserve l’heureuse surprise à chaque fois, comme si nous ne nous étions pas revues depuis des mois…

Je réussis cependant à savourer ces quotidiennes retrouvailles, tes yeux écarquillés de stupéfaction et aussitôt pétillants de plaisir me font oublier le murmure incohérent alentours, les relents de moiteurs froides qui habillent des murs sans couleurs…

Si tes journées sont toujours bien remplies, elles ne le sont pas, pour toi, par les activités proposées sur le carton aux arabesques colorées punaisé à l’entrée de la salle à manger… Tu as travaillé, reçu des clients à ton cabinet d’assurances, fait des courses dans une ville que ta mémoire a réinventé comme une mosaïque de toutes celles où tu as vécu… Tu n’as pas vu le temps passer…

Tu me demandes des nouvelles de ma soeur, qui est en fait la tienne, tu me parles de mes filles, je n’en ai qu’une, et tu as oublié mon fils… Tu apprends chaque semaine que je viens d’avoir un petit-fils dont le prénom t’enchante constamment, et soudain tu me demandes mon âge, ce qui a l’heur de te faire rire, puis te laisse sans voix…  Ton regard alors s’assombrit et se perd dans des pensées à cent lieues de celles qu’on pourrait parfois tenter de te prêter…

Puis tu reviens à toi et t’inquiètes de n’avoir aucune nouvelles de tes parents… Je te rassure et te convaincs que je m’en suis occupée, qu’ils n’ont besoin de rien… Eux qui reposent depuis près de quarante ans au cimetière… Ils n’ont certes plus besoin de grand chose…

Un vieil homme s’approche, il te parle et tu lui dis quelque chose qui n’a rien à voir avec la question qu’il t’a posé, mais il s’éloigne satisfait… Tu me reproches de n’avoir pas embrassé mon « oncle », et c’est moi qui brusquement m’échappe et me recueille sur sa tombe océane…

Toi si proche et si loin de nous pourtant, dans ce curieux Présent que tu tricotes au grè d’une mémoire effilochée…

Je n’ai jamais envie de te quitter, je redoute tellement de n’avoir pas à revenir… Je fais provision de toi, j’enregistre ta voix, j’apprends par coeur tes éclats de rire… J’ai si peur qu’un matin tu ne sois plus là…

A toi, ma douce, ma belle, ma si chère Marraine….

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