J’aime bien rouler la nuit.
Quand la campagne met son masque sombre, je ne vois plus qu’un ruban d’asphalte balayé quelques secondes par les phares des voitures qui me croisent, et par ceux de celles qui, me dépassant, éclairent un instant davantage le paysage environnant.
Je roule sans davantage de repère qu’un panneau m’indiquant une distance ou le nom d’un village. La radio me tient compagnie. Dans la nuit, si l’espace rétrécit, le temps, lui, semble prendre de l’ampleur. Des musiques nostalgiques me remettent en mémoire des souvenirs précis, les années passées semblent s’être accumulées si discrètement qu’un vertige me prend en y réfléchissant.
Je suis en apesanteur au-dessus de ma vie, le moment est suspendu, il n’est plus question de chronologie. Je peux en un éclair remonter des années en arrière, revenir au présent, ou partir loin devant.
La voiture traverse l’obscurité, la vitre entr’ouverte rafraîchit l’habitacle, le moteur ronronne et berce mon voyage. Des maisons somnolent déjà tandis que d’autres veillent encore. Dans le noir alentour, des fenêtres éclairées me livrent leurs secrets… Le temps d’apercevoir l’éclairage blafard d’une cuisine ou une silhouette qui se glisse dans le halo métallique d’un téléviseur, la couleur de chaque lumière me décrit une ambiance, me raconte une bribe de l’histoire de ceux qu’elles me révèlent à peine.
J’aime bien rouler la nuit…