Qui êtes-vous donc, vous autres qui entrez dans un cimetière comme on rentre dans un supermarché ?
En faites-vous un premier tour pour mieux repérer de quoi fleurir à moindre prix votre jardin ?
Vous appropriez-vous aussi la tombe ? Faites-vous au moins mine de vous y recueillir un instant avant de vous pencher pour vous saisir d’un pot et l’emporter nonchalamment ?
Je vous imagine repartir tranquillement les bras chargés et croiser des chagrins dans l’allée… D’aucuns pourraient même s’enquérir de qui vous amène ici et vous féliciter du soin que vous portez au fleurissement de vos défunts…
Je suppose pourtant qu’il faille que vous soyez costaud, je n’avais pu toute seule soulever ces petits arbustes jusqu’à la tombe de mon mari… J’espère au moins que vous avez eu un peu de mal à les transporter, que Diable tout devrait se mériter !
Je vous trouve bons goûts, puisque vous avez les miens, il est vrai qu’ils faisaient bel effet mes jolis buis tout ronds ! J’aime la sobriété, je les avais choisis bien verts et à la taille régulière pour agrémenter les flancs de la jardinière…
Oui, c’est mon mari qui repose là, depuis un peu plus de quatre ans déjà, et mon papa aussi, depuis un petit peu moins longtemps. Comme vous le constatez, ces dernières années ne m’ont pas épargnée…
Où posez-vous ce que vous leur avez dérobé ? Sur le seuil de votre véranda, à côté de votre paillasson, à moins qu’au fil des mois vous n’ayez en projet d’allonger votre haie ?
Et quand vous les regardez, est-ce qu’au moins vous avez une pensée pour ceux à qui ils étaient destinés ?
Quand vous m’avez pris le premier, j’ai interrogé les jardiniers pensant qu’ils aient pu l’enlever le trouvant gelé après quelques jours de froidure…
Mais bien sûr, il ne s’agissait pas d’eux… Alors je l’ai remplacé… Oui, vous avez raison, je suis un peu naïve… Mais reconnaissez qu’il est surprenant qu’on puisse s’acharner sur les buis d’une sépulture ! Ne vous sentez-vous pas coupables de voler à qui ne peut s’y opposer ? Non, sans doute pas, pour que vous soyez revenus !…
Par trois fois !
Trois buis ont disparu ! L’occasion était trop belle et les proies si faciles ! Si l’on ose multiplier l’aubaine, je veux bien croire que le jeu en vaille la chandelle…
Un ami m’a alors conseillé de les planter. Il a creusé de chaque côté et deux nouveaux buis y ont pris racine. Cette fois ci, je les avais choisi tout pointus, leurs cimes acérées auraient dû vous impressionner… Que nenni ! Je vous offrais là de quoi diversifier vos courageux larcins !…
Je m’interroge quand même ? Ça n’a pas du être facile, vous avez du les arracher en tirant très fort, il y avait encore des éclaboussures de terre sur la pierre ! Mais vous êtes bien aimables d’avoir pris la peine de repousser le terreau dans le trou béant du dernier buis que vous m’avez pris…
Ah, que je vous prévienne quand même… La prochaine fois que vous reviendrez par ici, ne cherchez pas celui que vous aviez bêtement laissé à côté… Je l’ai moi-même enlevé… Mais en quittant les lieux avec l’arbrisseau sous le bras, vous allez rire, figurez-vous que c’est moi qui n’en menais pas large et qui craignais qu’on ne me prenne pour une voleuse !!!
J’étais soulagée d’arriver à ma voiture et de cacher la plante dans le coffre… Je ne voudrais pas être à votre place, ce genre de situation est très embarassante et je salue la maitrise que vous avez de l’opération !!!
Je ne déposerai pas plainte, je ne vous apprendrai pas qu’on ne peut mettre un gendarme derrière chaque fleur… J’hésite entre espérer que vous n’ayez pas la main verte et que ces buis soient bientôt aussi desséchés que votre peu de moralité, ou que, puisqu’il serait encore fort injuste de faire payer la note à l’innocence, que leur belle verdure vous soit un reproche insupportable indélogeable du fond de votre mauvaise conscience … Mais bien convaincue qu’on ne peut souffrir que de la perte de ce qu’on a, je gage plutôt que vous n’ayez jamais entendu parler du respect qu’on doit à ceux qui ne sont plus là pour se défendre, ni de celui qu’il me semble pourtant naturel d’avoir pour le chagrin de ceux qui les pleurent …
Et si par hasard vous me lisiez, il me plairait que vous ne puissiez plus jamais passer devant un miroir sans avoir, sinon des regrets, du moins une véritable idée de ce que vous êtes : UN VOLEUR ou UNE VOLEUSE ! … L’humour que je mets dans ces lignes n’a d’égal que le mépris que je vous porte… Et ça, vous ne l’avez pas volé !!!
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