C’était un ancien moulin à papier en partie effondré sur une presqu’île emboisée.

Une cacophonie de pierres éboulées entre les ronces, de murs évanouis sous les poutres noircies par la pluie, un bout de toit encore perché sur le côté et qui menaçant de tomber rendait l’endroit un peu inquiétant.

Un pont sur le canal qu’il fallait d’abord traverser avant de franchir un fossé et de passer un porche grand ouvert sur une salle éclairée par la clarté de l’été. Quelques parois encore debout donnaient l’idée d’un atelier depuis longtemps déserté.

Si ma voix s’était élevée seul l’écho lui aurait répondu. J’aurais été seule au milieu d’un passé presque silencieux.

Il y avait bien longtemps que plus aucun gamin ne venait ici inventer quelque jeu aventureux. Des barrières avaient été un temps prudemment installées les en dissuadant à jamais.

Je me souvenais du petit chemin qui courait sur le côté. Nous l’empruntions chargés de nos goûters et partions à l’arrière du vieux bâtiment pour quelques heures faire nôtres les histoires que ses murailles fragiles nous contaient.

Au creux de la verdure qui partout s’immisçait, nous révions tout éveillés sans imaginer combien la réalité aurait tôt fait de nous rattraper… A dix ans que sait-on des lendemains lointains tandis que l’éternité tient dans une seule journée d’été ?…

Le soleil avait peine à traverser la mêlée d’arbres et de buissons, l’ombre du moulin gardait  la terre humide, tâchant nos vêtements de glaise rose qui nous dénonçait le soir à la maison…

Notre balançoire de fortune n’aurait plus été qu’un souvenir dessiné au crayon tendre de l’enfance. La corde épaisse que nous avions nouée entre deux troncs d’arbres n’aurait pas survécu à l’humidité de tant d’années accumulées. Elle finirait de s’effilocher dans le sable gorgé d’eau de la rivière qui coulait à côté.

Le silence se serait habillé de mille chuchotements, le clapotis de l’eau l’emportant sur le bruissement des feuilles et m’enlaçant d’une musique douce et nostalgique.

Comme autrefois il s’en aurait fallut de peu pour qu’une silhouette ne se profile dans le clair-obscur, nous aimions frissonner en imaginant quelque fantôme errant dès la tombée du jour.

Mais aujourd’hui la presqu’île s’est laissé conquérir. Plus un seul arbre et point de « vieux bâtiment ». Une maison sans âme a investi nos terres et se pavane sur nos souvenirs. Deux petits garçons s’ennuient devant un perron. En grattant la terre du bout d’un bâton, soupçonnent-ils la resonnance des  anciennes fondations ? Sentent-ils dans le vent l’odeur du feuillage ? Entendent-ils le murmure des enfants que nous étions ?

Je me suis éloignée sans me retourner. A quoi bon ? Il ne restait plus rien de ce que j’avais tant aimé, peut-être, en y regardant bien, sur le toit, cette échappée de lumière revenue de mon enfance…

One Reply to “Le « Vieux Bâtiment ».”

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