Soudain une pesanteur.
Le soir inquiète et plus aucun matin ne rassure.
Les heures s’étirent, les jours n’en finissent pas de s’allonger, le temps impose une autre cadence.
Le miroir renvoie une image désemparée, la mine est grave et le regard anxieux. L’inquiétude trahit l’âge et grise le teint.
Le Présent s’effrite, l’avenir se dérobe à aux promesses, il n’est plus sûr de rien.
Le regard s’affute comme redécouvrant un environnement qu’on pensait familier. Tremper ses yeux dans le ciel et s’étonner de ne pas l’avoir assez souvent contemplé.
Caresser l’écorce d’un arbre et respirer les odeurs du jardin après la pluie, avoir la vue brouillée en écoutant les oiseaux chanter, ne plus écraser les araignées du soir et chasser celles du matin…
Se souvenir de ses prières, vouloir à tout prix croire en quelque chose ou en quelqu’un, donner aux talismans des pouvoirs qu’ils n’ont vraisemblablement pas. Se surprendre à genoux. Supplier on ne sait qui, on ne sait quoi.
Compter ses années et se trouver stupéfaite qu’elles aient si vite passé, ne plus présumer de celles qu’on aimerait tant avoir encore à vivre.
S’alarmer d’un frisson, laisser son corps parler, lui offrir un peu plus d’attention, le découvrir fragile au détour d’un élancement.
Trouver urgent de prendre un « rendez-vous », n’en plus finir de se tourmenter de l’avoir si facilement obtenu…
Et attendre…
Ne trouver de patience que parce qu’on redoute ce qu’on pourrait apprendre.
Pénétrer dans une de ces mornes salles d’attente aux murs sans âme, s’assoir sur une chaise fagotée de skaï, ne pas oser feuilleter les revues grasses et écornées abandonnées sur une table basse.
Sourire timidement à celles qui vous observent pour oublier leur propre peur, baisser les yeux pour masquer l’angoisse qui partout s’est pesamment installée…
Tendre l’oreille, deviner quelque murmure secret derrière la porte du cabinet, craindre de voir enfin son tour arriver, refaire mille fois d’horribles calculs de probabilités et à peine accueillie, scruter dans le regard du praticien une gaîté qui rassurerait…
Le coeur bat la chamade, il fait chaud, si chaud…
Et puis, dans un feu d’artifice d’émotions trop longtemps retenues, se sentir aussi légère qu’une bulle de savon et sentir ses lèvres dessiner un sourire, remercier tous les dieux de l’Olympe et se jurer d’honorer toutes les promesses qu’on a faites. Sentir sa poitrine allégée d’une tonne d’angoisses, respirer.
S’éblouir d’un rayon de soleil qu’on n’avait pas auparavant remarqué, oublier toutes les questions griffonnées sur le petit bout de papier froissé, rire d’un rien, refaire aussitôt des projets, et vite vite s’en aller d’un pas léger…
Croiser en partant celles qui ont eu moins de chance, enjamber la douleur qui traine au milieu du couloir, déjà oublier la frayeur pour n’en retenir que le soulagement d’aller bien, savoir qu’il y aura encore beaucoup d’autres « demain », et courir loin, loin, loin…