« Vous ne vous en sortirez pas… »

Quand bien même ce « vous«  aurait-il exigé un temps cette insupportable vérité, comment un homme, fut-il médecin, peut-il ainsi poser cette chape de plomb sur le malade qui jusqu’ici ne supportait les soins contraignants qu’avec l’espoir ténu mais bien là, d’une possible rémission ?… Sans savoir lui-même d’ailleurs jusqu’à quand ce « vous«  devra « vivre » avec ce vide abyssal comme seule perspective, avec cette fin presque programmée, qu’il ne maitrisera pas pour autant puisque le soignant aura le dernier mot à la moindre défaillance respiratoire, « nous ferons en sorte que vous ne souffriez pas, bien sûr… » Ce foutu souffle qui lui manque chaque jour davantage, et qui, à chaque respiration lui rappelle douloureusement qu’il faut tenir à défaut d’être « soulagée ».

Torture disiez-vous ?…

Chef d’entreprise devant mettre en ordre ses affaires?… Invétéré croyant au devoir de « confesse » avant de se présenter devant l’Éternel ? Du tout ! Juste une femme atteinte depuis un an à peine, qui jusque là nourrissait encore quelques projets. Juste une personne comme vous et moi, malade certes, mais pleine d’énergie pour combattre ce crabe vorace… Une femme courageuse, chambre 331, qui voulait encore y croire et qu’un idiot carabin a cru bon de mettre au parfum sans s’inquiéter de savoir si la dite « 331 » était en capacité de digérer l’annonce et de l’assumer le temps qu’il faudrait avant de trépasser !…

Au Diable ces médecins qui se déchargent ainsi de leurs propres angoisses et responsabilités, laissant au patient le devoir d’assumer les siennes, définitives et absolues, qu’il soit question de supporter l’idée de bientôt mourir, ou celle de décider ou non de sa propre sédation !… Ce métier, que dis-je, cette vocation qu’il devrait être, n’exige pas seulement de diagnostiquer puis d’informer ! Quid d’une once de psychologie au cas par cas, quid d’une humaine empathie devant cette souffrance morale endurée ?… Non, il suffira de quelques cachous cache-misère pour museler la peur et donner à la condamnée l’allure qui sied : un regard déjà aux abonnés absents, qui ne dérangera plus personne, charge aux plus proches de passer leurs jours et leurs nuits auprès du lit pour parer à toute éventualité si curieusement la terreur reprenait le dessus…

J’entends déjà certains affirmer que cette vérité serait nécessaire aux patients, qu’elle leur serait même due, et que la plupart comptent bien le faire savoir autour d’eux afin que, le moment venu, on ne leur mente pas. Que leur mort leur appartient et que ce serait la leur voler que de leur faire croire qu’ils allaient survivre… Souvent, ceux-là ont l’âge et la santé d’avoir ce courage, et je serais tentée de leur rétorquer qu’on en reparlerait plus tard… La volonté affirmée devrait bien sûr être prise en compte, mais le rôle du médecin devrait être complémentaire et distinguer dans cette intention celle qu’on porte presque tous en étendard, signifiant ainsi notre volonté de maitrise, et le courage dont chacun d’entre nous aimerait faire preuve le moment venu, et celle, plus discrètement énoncée, d’un accompagnement fait de petits mensonges confortables qui doucement nous rapprocheraient d’une mort intuitivement attendue mais presque jusqu’au bout tenue à distance raisonnable et rassurante…

Et pour en finir avec ce consensus dont on voudrait nous faire croire qu’il est librement choisi alors que le corps médical nous l’impose sous couvert de « transparence » (laissez moi sourire, la transparence étant ici et curieusement moins ailleurs : réalité de l’efficacité des traitements, financement plus ou moins occulte de la recherche par les laboratoires, etc…), je déplore qu’ainsi que bien d’autres choses, nos derniers jours soient le plus souvent si lourds à porter pour nous comme pour nos proches, mais ainsi nous l’expliquait un soignant : « Le patient apprivoise sa mort et la famille son deuil… »

Cela vous console t-il ?…

 

 

 

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