« Qu’est-ce qu’on a été heureux !… »

Pouvoir de ce simple constat résumer sa vie, quand on sait combien être heureux peut ressembler à la Quête du Graal, quand tant d’entre nous n’en prennent pas le risque tant ils craignent la souffrance d’un éventuel échec…

Tellement amaigri par des jours et des jours de jeûne, relié pourtant à la vie par quelques fins tuyaux qui gavent ses veines à son corps défendant, la peau si pâle, le regard bien à l’abri de ses paupières closes, comme si les tenir fermées pouvait convaincre La Mort, le sentant prêt, à venir enfin le chercher…

René n’en veut plus de cette vie qui lui ressemble si peu : pensez-donc, un fier gaillard qui frise le mètre quatre vingt cinq, qui jusques à ses quatre-vingt quinze ans n’avait jamais déclaré forfait, même après qu’un vilain diabète lui ai pris un pied !… Il grimpait encore sur la vieille échelle au jardin pour cueillir les cerises qu’il réservait à ses amis avant d’en profiter lui-même s’il en restaient quelques unes que les merles n’aient pas grappillées ! Que vais-je devenir, René, sans vos paniers remplis de groseilles bien joufflues, des comme on en fait plus, gorgées d’eau de pluie et de la chaleur de nos bels étés ? Mes gelées n’auront plus jamais cette douce acidité sucrée, mes bocaux ne seront plus cette rangée carminée en haut de mon buffet qui nous promettait des petits déjeuners pleins de tartines colorées…

« Qu’est-ce qu’on a été heureux tous les deux… » Ses yeux s’entrouvrent pour libérer au plein jour le souvenir lumineux de celle qui soixante trois ans durant lui rendit la vie si jolie… Depuis quelques semaines déjà, il n’a plus qu’une envie, la rejoindre là où elle l’attend sans aucun doute, à quoi bon mendier quelques jours de plus, à quoi bon puisque la route s’épuise en chemin caillouteux, c’est au-dessus de ses forces aujourd’hui que de le rendre à nouveau carrossable …

« Je n’ai plus de forces… » me dit-il dans un pauvre sourire, mais il en trouve encore pour évoquer quelques souvenirs qui aussitôt lui rosissent le teint d’émotion et de plaisir. Il s’enquiert des miens, ultime politesse au seuil du partir, généreux il fut, obligeant et bienveillant il restera jusqu’à son dernier souffle… C’est ainsi que l’on définit la véritable  Noblesse.

J’ai tant de chagrin à le voir s’en aller… Ce ne sont pas tant les années ou les rides qui nous font vieillir, mais bien plutôt de voir tous ceux qui firent partie de nos vies disparaitre de nos paysages, nous laissant orphelins de leurs silhouettes, même si les côtoyer n’était pas quotidien, la qualité des amitiés ne se mesurent pas à l’aune de la quantité…  Si l’on peut parfois imaginer en passant devant un endroit familier pouvoir revivre des moments inoubliables, il devient vite impossible d’en réunir tous les protagonistes… Nos épaules auront de plus en plus de peine à soutenir ce Monde désertifié et plongé dans un silence abyssal… C’est ainsi qu’un jour nous aurons épuisé jusqu’à notre dernière énergie et que, faute de paroissiens,  sera venue l’heure de nous en aller aussi…

« Les nuits sont si longues, tu sais… Je ne fais que sommeiller, mes souvenirs occupent toutes ces heures immobiles, je me souviens, je pense à tous ceux que j’ai connus, à ceux qui resteront après moi, je sais que mes enfants sauront avancer sans moi, tu prendras de leurs nouvelles parfois ?… »

« Oui, René, bien sûr que je m’en inquiéterai… Mais toi, René, si tu savais combien votre amitié à toi et Paulette aura compté ! Vous avez été les premiers à m’accueillir à mon arrivée au village, et les seuls à m’offrir sans relâche, sans jugement, une bienveillance à toute épreuve. Je ne sais si j’ai été à la hauteur, mais je suis certaine que, de toutes mes rencontres la vôtre est tout en haut du podium, sûr, et pas qu’un peu je vous le jure !!! Merci mes amis de tant de gentillesse, un mot auquel on devrait très vite redonner sa juste majesté, car il est l’étoffe des plus belles amitiés ! A Dieu, mon Ami…

Que cette envie de t’endormir à jamais t’apporte à Toi et à Paulette ce Bonheur Absolu que sur Terre vous avez approché au plus près tous deux ensemble, parce que vous avez su puiser dans l’écume de vos jours terrestres et donc imparfaits, de quoi finalement trouver la vie belle et illuminer celle des autres.

A mes amis René et Paulette Bonnard… 13 Mai 2013.

René s’en est allé ce matin à l’aurore…

 

2 Replies to “René…”

    1. Oui… Je suis très triste, ils m’ont tant donné… René sera enterré auprès de Paulette à Xertigny, demain après-midi, j’y serai vraisemblablement, j’étais déjà en fin d’après-midi là-haut… Voilà, c’est fini..

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