Le petit théâtre résonne du brouhaha des chaises métalliques trainées sur le parquet, de l’effervescence des spectateurs qui s’installent en conversant. L’endroit, dans sa douce pénombre, se prête mieux qu’aucun autre à l’intime partage que proposent cette troupe baroque…

Une présentation rapide et pudique, et les projecteurs inondent bientôt la scène d’une lumière blafarde, vite corrigée par d’autres plus satinées, une musique nous invite au silence, les trois coups sont frappés…

Les comédiens sont tous vêtus d’un même costume sombre au revers écarlate, une tentative déjà d’estomper leurs différences… Ils s’avancent unis d’une commune énergie, si fiers d’être là, d’échapper pour un petit moment à leurs terribles angoisses, à cet étau qui les broie jour après jour sans le moindre recours…

Psychotiques, paranoïaques, schizophrènes … Leurs regards nous disent le trac, la timidité, l’espoir inespéré d’être regardés autrement… Pour ce soir les « fous », les « aliénés », les « barjos », les « cinglés » ne sont plus que des comédiens…

Peu importe l’histoire qu’ils ont à nous raconter, leurs textes hurlés ou murmurés nous révèlent ce qu’ils sont, de pures émotions, des cicatrices brûlantes, des déchirures éternellement ouvertes par nos incompréhensions et nos blessantes certitudes… D’atroces écorchures causées par nos humiliantes morsures…

Et filent les mots qui rassurent, qui traduisent tout ce qu’ils sont différemment, des gens comme vous et moi au fond, mais dont le « moi » se dissout parfois, et dont nos peurs préfèrent plutôt se moquer, ou les ignorer, comme si se perdre comme eux était contagieux…

Ils nous offrent spontanément  leur fragilité, personne ici n’oserait en rire, chacun d’entre eux est unique, leurs regards s’engouffrent dans les nôtres et la confusion change de camp…

Dans cet instant singulier, Hélène, en apesanteur, aux gestes engourdis… Présente et pourtant si loin, le visage auréolé de cheveux gris et cependant si jeune, une femme bien droite sur les planches, qui meuble sa bulle d’une voix monocorde et d’un sourire d’ange…

Un gamin dégingandé, dont la veste aux manches trop courtes en fait un Petit Gibus aux grands bras maigres, comme affublé d’une seconde peau étriquée, qui bredouille ses mots comme autant d’excuses, qui se tait soudain et nous dit combien la solitude l’étreint…

Une autre, Mirabelle, mime la danse en se dandinant comme une enfant, le cheveu noir et dru, aux lèvres un sourire candide, l’œil encanaillé d’avoir bravé le monde et de s’en porter mieux…

Jean-Pierre, l’édenté rigolard, qui, docile donne ses répliques sans vraisemblablement en comprendre le sens, automate de chair qui ne donnerait sa place à personne, que ça rend heureux d’être là, avec tous les autres, comme si la comédie qu’ils jouaient ici lui permettait enfin de s’envisager concrètement…

Car tous ces gens là, voyez-vous, ne se soupçonnent guère, perdus qu’ils sont entre  leur monde et le nôtre, si loin de nos réalités, dans la terreur de leurs hallucinations, à ne savoir comment démêler le faux du vrai… Mais une heure durant, ils furent de ceux qui osèrent et gagnèrent une bataille, et sous nos applaudissements ils furent enfin nos frères…

Mars 2013 – La semaine de la santé mentale – A tous ceux qui prennent le temps de les regarder autrement, de les écouter et de les comprendre… A La Luthinerie pour l’émouvant « Bémol en coulisse »… Mille « bravo » et « merci » à vous,  les comédiens !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *