Non, je vous jure, je ne suis pas une illuminée encore moins une folle ! Est-ce ma faute à moi si même les pierres ont envie de me parler ? Et de plus, vous devriez être contents que je puisse vous traduire nos passionnantes conversations !…

Quand je suis arrivée à la Villa Grazie, curieusement si loin de chez moi, je ne me suis pas sentie en pays étranger… Cette maison, c’était une évidence, m’accueillait volontiers… Pourtant, pour que je l’habite, ceux à qui elle appartient avaient dû momentanément la quitter… Cela aurait dû la contrarier… Non, je n’en avais pas encore franchi le seuil qu’elle me souriait ! A peine entrée, un petit courant d’air bienvenu a chassé la moiteur accablante qui nous avait accompagné tout le long du trajet.

Joëlle nous a présenté. Nous avons fait assaut d’amabilités, mais vraiment tout simplement, c’était comme si déjà on se connaissait ! Mon amoureux et moi, on a posé nos valises, commencé d’occuper les armoires, rempli le frigidaire où nous attendait un petit vin blanc de pays qui s’est bien accommodé de nos tomates et de la roquette du jardin… On aurait dit qu’elle se réjouissait d’avoir à nouveau de la compagnie. Faut dire aussi qu’on a pas empêché les chats de vivre leur vie de chats entre cuisine et pergola ! Moi, j’ai toujours aimé les chats, et d’ailleurs, mêmes s’ils ne sont pas très bavards, (le chat ronronne ou fait le gros dos)  j’ai aussi eu quelques discussions assez intéressantes avec eux, mais le chat est peu disert, il est un peu snob, si, si, surtout le chat toscan…  Le chat se suffit à lui-même, il vous tolère quoi… Mais c’est une autre histoire que les dialogues de chats, peut-être une autre fois…

La première nuit chez Grazie, (oui, très vite on a convenu de se tutoyer et de bannir les titres de civilité…)  Grazie, donc, quoique non climatisée comme les hôtels où nous venions par ailleurs de séjourner, nous a aimablement gardé de sa fraicheur nocturne, il est vrai un peu secondée par un gros ventilateur, lui aussi relativement sympathique s’il ne s’était pas un peu trop lamenté sur le fait que cette chaleur lui donnait le tournis…

Je n’ai pas le sommeil facile, alors, pour passer le temps, on a papoté, Grazie n’a pas fait trop de chichis pour m’avouer son grand-âge et, coquette, elle a apprécié que je lui en ai prêté beaucoup moins, comme nous en avons convenu, quelques rides ne sont pas forcément laides, surtout quand on derrière soi toute une vie de sourires ! De sa voix rocailleuse elle m’a pourtant confié avoir connu bien des vicissitudes…

Si Grazie n’a pas connu l’époque étrusque de Montepulciano, elle n’en conserve que de vagues souvenirs de rochers ou de moellons… Elle n’avait pas encore rencontré de maçon… Mais elle se souvient des envahisseurs siennois ou florentins qui pendant des années meurtrirent le village et les vallées alentour. Elle devint masure, grenier à grains peut-être, tout ça est un peu flou…Quand enfin les puissants seigneurs de Pecora usèrent d’un pouvoir absolu sur la ville, elle pense avoir été un  temps poudrière sous les remparts, afin de ravitailler sans danger pour les habitants, un poste avant de défense, mais peu d’images lui reviennent, juste comme une odeur de poudre quand la température grimpe en été, et enfin, doucement l’histoire s’apaisât. Mais c’était sans compter la peste noire qui éliminât nombre de ses habitants… Puis rejoignant l’état florentin vers 1511, la paix laissât place au fleurissement de la Renaissance qui aujourd’hui fait encore le ravissement de tous ceux qui passent par là.

Bon an mal an, Grazie a survécu, et a aussi réussi à se remettre du départ successif de moultes occupants auxquels elle s’était attachée, il ne faut surtout pas croire tout ce qu’on dit sur les cœurs de pierres ! D’ailleurs, elle m’a confié que cette fois-ci, elle était « grave » attachée à ses propriétaires (oui, Grazie, quoique relativement âgée et classe, ne dédaigne pas le vocabulaire des jeunes d’aujourd’hui, une façon de parler avec son temps sans doute, dont on ne peut lui tenir rigueur…)

Là depuis des années qu’ils s’y sont installés, elle apprécie beaucoup leur façon de l’habiter. Ils sont amoureux, et ça, voyez-vous, pour une maison, abriter des gens heureux ça compte énormément. Pas de tension, pas de pleurs ni de cris inquiétants, non, Grazie sait combien elle a de la chance, car pour en avoir discuté avec d’autres pierres éboulées de maisons moins bien restaurées, elle sait bien que ce n’est pas toujours le cas ! Et vous n’imaginez pas combien une maison peut souffrir elle aussi de ce que nous, humains nommons « stress » !!! Une maison « stressée » devient fragile, les portes claquent, la vaisselle se casse, des tuiles s’envolent et laissent l’humidité s’immiscer,  il arrive parfois qu’elle attrape des moisissures, et là, c’est la « cata » à éradiquer !… Rien de tout ça chez Grazie, qui se porte comme un charme grâce aux attentions de Joëlle et Klaus qui lui passent presque tous ses caprices, dans un éclat de rire Grazie m’assure qu’elle est très gâtée…

Quand il a fallut se quitter, on a été toutes deux très chagrinées, on s’est bien promis de ne pas s’oublier, d’un jour se revoir, mais on sait bien toutes deux aussi combien parfois la vie est compliquée… Et puis Grazie est assez attachée à son bout de terrain italien, elle y a ses caves et son grenier, à son âge, à moins d’un glissement de terrain ?… Mais ça ne l’emmènerait pas bien  loin… Du coup, depuis que je suis rentrée, je parle davantage à ma petite maison bleue (je vous rassure, elle n’a de bleu que  son portail, un grillage et quelques lattes sous son toit…). Un peu jalouse de ma complicité avec cette italienne de caractère, elle m’a expliqué que même les maisons plus récentes ont, elles aussi, une histoire à raconter, alors, chaque soir, quand le silence revenu permet d’entendre murmurer les pierres, je tends l’oreille et je l’écoute elle aussi me parler…

 

A  Grazie, Joëlle et Klaus… « Être capable d’entendre rire les pierres si l’on veut saisir sa propre voix. »  Hélène OUVRARD dans « L’herbe et le varech ».

 

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